Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/44

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voir pas reçu le poignard tout entier dans son corps. Jamais le peuple romain ne vit rien de plus indigne, si ce n’est la mort de ce même Scévola, mort funeste, qui consomma la ruine de tous ses concitoyens ; il succomba sous leurs coups, parce qu’il les voulait sauver en conciliant les partis.

Ne retrouve-t-on pas ici l’action et le mot atroce de Fimbria ? Vous accusez Sextus : et pourquoi ? parce qu’il s’est échappé de vos mains, parce qu’il n’a pas souffert qu’on le tuât. Le forfait de Fimbria révolte davantage, parce que Scévola en était l’objet. Mais le vôtre doit-il être toléré, parce que Chrysogonus en est l’auteur ? Grands dieux, cette cause a-t-elle besoin qu’on la défende ? exige-t-elle les lumières d’un jurisconsulte ou les talents d’un orateur ? Développons-la tout entière ; contemplons-la dans ses détails : alors vous verrez aisément quel est l’état de la question, quel est l’objet dont je dois vous entretenir, et quelle est la marche que vous avez à suivre.

XIII. Sextus Roscius, autant que j’en puis juger, a, dans ce moment, trois obstacles à combatre : l’accusation intentée contre lui, l’audace de ses adversaires, et leur pouvoir. Érucius s’est chargé du soin de fabriquer l’accusation ; l’audace est le rôle que les Roscius ont demandé pour eux ; et Chrysogonus, cet homme si puissant, nous écrase par le pouvoir. Je sens qu’il faut que je traite ces trois points de ma cause, non pas cependant tous les trois de la même manière. Le premier concerne mon ministère ; les deux autres vous regardent : le peuple romain vous en a spécialement chargés. C’est à moi de réfuter l’accusation ; c’est à vous de réprimer l’audace, et de briser enfin et d’anéantir le pouvoir funeste et intolérable des gens de cette espèce.

Sextus est accusé d’avoir tué son père. Attentat horrible ! grands dieux ! forfait abominable, et qui semble renfermer en lui seul tous les crimes à la fois ! En effet, si les sages ont dit avec raison qu’il suffit d’un regard pour blesser la majesté paternelle, quels supplices assez rigoureux seront inventés contre un fils qui aura donné la mort à son père, pour qui les lois divines et humaines lui prescrivaient de mourir lui-même, s’il en était besoin ! Quand il s’agit d’un délit aussi affreux, aussi atroce, aussi étrange, et dont les exemples ont été si rares qu’il fut toujours mis au nombre des prodiges et des monstres, par quelles preuves, Érucius, ne devez-vous pas appuyer votre accusation ? Ne faut-il pas que vous montriez dans l’accusé une audace extrême, des mœurs féroces, un naturel barbare, une vie souillée par tous les vices et par toutes les bassesses, en un mot, la perversité et la dépravation portées à leur dernier excès ? Or, vous n’avez rien prouvé ni même rien allégué de cette nature contre l’accusé.

XIV. Sextus a tué son père : quel est donc cet homme ? Un jeune débauché, séduit par des gens sans mœurs et sans principes ? il a plus de quarante ans ! Un assassin de profession, un furieux, un égorgeur ? l’accusateur lui-même ne l’a pas dit. Le goût des plaisirs, des dettes énormes, des passions effrénées l’ont donc entraîné au parricide ? Quant au goût des plaisirs, Érucius l’a