Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/448

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ne soit intolérable de désapprouver votre jugement sur ce grand homme, et de méconnaître l’autorité du peuple romain ; maintenant surtout que le peuple assemblé a plus que jamais le droit de faire prévaloir, contre ceux qui ne la partagent pas, son opinion en faveur de Pompée, puisqu’on dépit de leurs réclamations vous l’avez chargé seul, entre tous les autres, de la guerre contre les pirates. Si alors ce choix fut téméraire et peu conforme aux intérêts de l’État, ils ont raison aujourd’hui de prétendre éclairer vos sympathies par leurs conseils ; mais si vous fûtes alors plus clairvoyants qu’eux ; si, dédaignant leurs avis, vous avez rendu par vous-mêmes l’honneur à cet empire et la sécurité au monde, que ces illustres sénateurs confessent enfin, eux et les autres, qu’ils doivent se soumettre à la sagesse du peuple romain. D’ailleurs la guerre d’Asie contre deux rois ligués n’exige pas seulement le courage militaire, cette vertu principale de Pompée, mais bien d’autres grandes qualités de l’esprit et du cœur. Il est difficile à un général de commander en Asie, en Cilicie, en Syrie, et chez les nations les plus reculées, et de ne songer en même temps qu’à la gloire et à l’ennemi. En existât-il même d’assez modérés, d’assez honnêtes, d’assez désintéressés, personne ne les croit tels, à cause du trop grand nombre que déshonore leur cupidité. On ne saurait dire, Romains, tout ce que nous ont valu de haine, parmi les nations étrangères, les honteux désordres et les injustices des magistrats que nous y avons envoyés ces dernières années. Quel temple, dans ces contrées, a été, selon vous, respecté ? Quelle ville sacrée pour eux ? quelle maison assez close et assez fortifiée ? On cherche aujourd’hui quelles sont les cites riches et florissantes ; on leur déclare la guerre, et cette guerre n’est qu’un prétexte pour légitimer le pillage et la dévastation. J’agiterais volontiers cette question sérieuse en présence de mes illustres adversaires, Q. Catulus et Q. Hortensius ; ils savent quel les sanglantes blessures ont reçues nos alliés ; ils voient leur infortune, ils entendent leurs plaintes. Est-ce contre l’ennemi, dites-moi, et pour vos alliés que vous faites marcher vos armées ; ou bien l’ennemi n’est-il qu’un prétexte d’agression contre vos alliés, contre vos amis ? Citez une ville, dans toute l’Asie, qui soit capable de suffire à l’avarice inextinguible, je ne dis pas d’un général ou d’un lieutenant, mais du dernier tribun ?

XXIII. Ainsi, quand vous auriez un homme en qui vous reconnaîtriez la puissance de vaincre en bataille rangée les armées des deux rois, si cet homme ne peut s’abstenir de toucher, de voir, de convoiter l’argent des alliés, leurs femmes et leurs enfants, les ornements de leurs temples et de leurs villes, les richesses et les trésors des rois, il ne faut pas l’envoyer faire la guerre en Asie. Y a t-il, pensez-vous, une ville soumise et pacifiée qui soit restée opulente ? une ville opulente que nos généraux regardent comme effectivement pacifiée ? Les pays maritimes, Romains, ont demandé Pompée, non-seulement à cause de sa gloire militaire, mais aussi à cause de sa modération. Car ils voyaient, qu’à l’exception d’un petit nombre de gens, les revenus annuels n’enrichissaient pas le peuple romain, et que les exploits de nos flottes imaginaires n’avaient d’autre résultat que d’accroître notre honte, en multipliant les défaites. Maintenant encore, avec quelle avidité les généraux partent pour