Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/457

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on ne doit pas légèrement révéler, pour la justification d’un fils, la honte de celle qui lui donna le jour. Je serais indigne de jamais faire entendre ma voix dans le sanctuaire de la justice, si, appelé à la défense d’un ami, je méconnaissais un sentiment commun à tous les hommes, et que la nature a profondément gravé dans nos cœurs. Je sais que nous devons souffrir non seulement en silence, mais avec résignation, les torts de nos parents. Mais je pense aussi qu’il faut souffrir ce qui peut être souffert, cacher ce qui peut être caché. Aucun malheur n’a empoisonné la vie de Cluentius, aucun danger n’a menacé sa tête, aucune crainte n’a troublé son repos, dont sa mère n’ait été le premier auteur et le détestable artisan. Aujourd’hui même il se tairait encore, et à défaut de l’oubli, il ensevelirait tout dans le silence ; mais de nouvelles intrigues le forcent de laisser éclater malgré lui le cri de la vérité. Ce procès même, cette accusation, les périls qui l’environnent, tout est l’ouvrage de sa mère. Cette foule de témoins prêts à déposer contre lui, c’est sa mère qui les a subornés dès le commencement ; c’est elle qui en rassemble encore, et qui, pour en augmenter le nombre, prodigue son crédit et ses trésors. Elle-même enfin vient d’accourir de Larinum pour mieux assurer la perte de son fils. Cette femme audacieuse, riche, impitoyable, est ici. Elle suscite des accusateurs ; elle prépare des témoins ; elle jouit du triste appareil où vous voyez Cluentius ; elle veut sa mort ; elle est prête à verser tout son sang, pourvu que le sang de son fils ait coulé devant elle. Si tous ces faits ne vous sont démontrés dans la cause, prononcez que je suis coupable d’y avoir fait entendre son nom ; mais si l’évidence de ces crimes en égale l’atrocité, vous devez pardonner à Cluentius de m’avoir permis de les révéler ; vous ne devriez pas me pardonner de les taire.

VII. Maintenant j’exposerai sommairement pour quels forfaits Oppianicus a été condamné. Vous jugerez par là comment le procès fut conduit, et si la marche de Cluentius fut jamais équivoque. Et d’abord je vous montrerai pourquoi il se rendit accusateur : vous verrez qu’il y fut contraint par la plus impérieuse nécessité.

Il découvre et surprend du poison préparé pour lui par Oppianicus, époux de sa mère. Trop certain d’un crime dont l’évidence ne permettait pas le moindre doute, d’un crime qu’il voyait, pour ainsi dire, de ses yeux et touchait de ses mains, il accuse Oppianicus. Je dirai plus tard avec quelle franchise et quelle prudence il dirigea sa poursuite. J’ai voulu maintenant vous apprendre qu’il n’eut d’autre motif pour appeler cet homme en justice, que la nécessité de mettre sa tête à l’abri des complots qui la menaçaient chaque jour. Et afin que vous compreniez que les attentats reprochés à Oppianicus ne devaient laisser à l’accusateur aucune crainte, à l’accusé aucun espoir, je vous exposerai un petit nombre des chefs d’accusation. Quand vous les connaîtrez, aucun de vous ne s’étonnera qu’Oppianicus, désespérant de sa cause, ait eu recours à Stalénus et à l’argent.

Il y avait à Larinum une femme nommée Dinéa, belle-mère d’Oppianicus. Elle eut trois fils, Marcus et Numérius Aurius, Cnéus Magius, et Magia qui fut mariée à Oppianicus. Marcus Aurius, encore très jeune, fut pris dans la guerre d’Italie, auprès d’Asculum, et tomba entre les