Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/460

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de ses crimes ; les détails les plus féconds pour l’éloquence, je ne fais que les exposer rapidement et en peu de mots. Ses juges, au contraire, entendaient l’horrible histoire d’un homme que leur serment les obligeait de condamner, s’il était coupable ; d’un accusé dont ils voyaient devant eux le visage impie et flétri de l’empreinte du crime ; d’un audacieux dont ils détestaient les fureurs ; d’un scélérat qu’ils croyaient digne des plus cruels supplices. Ils l’entendaient de la bouche de ses accusateurs ; ils entendaient les déclarations d’une foule de témoins ; ils entendaient les discours éloquents de P. Canutius, qui développait tous les chefs d’accusation avec une grande force et une abondance inépuisable. Et l’on pourrait, quand les faits parlent si haut, s’imaginer qu’Oppianicus a succombé injustement, et que l’intrigue a triomphé de l’innocence. Je vais, juges, entasser à la hâte les autres attentats, afin d’arriver promptement à ce qui touche de plus près à ma cause.

Souvenez-vous, je vous en supplie, que mon but n’est pas d’accuser un homme qui n’est plus. Mais, jaloux de vous persuader que mon client n’a pas corrompu les juges qui le condamnèrent, je pose un principe qui doit servir de fondement à ma défense : c’est qu’on a condamné dans Oppianicus le plus coupable et le plus scélérat des hommes. Un jour il avait présenté de sa main une coupe à sa femme Cluentia, tante de celui que je défends. Avant de l’avoir entièrement vidée, cette femme s’écria qu’elle mourait dans des douleurs affreuses ; et elle ne vécut que le temps de prononcer ces mots : car à peine les avait-elle achevés, qu’elle expira. Cette mort soudaine, ce cri échappé au milieu du trépas, donnèrent de soupçons que fortifièrent des signes manifestes d’empoisonnement aperçus sur son corps. Le même poison délivra Oppianicus de son frère Caïus.

XI. Mais ce n’est pas encore assez. Quoique le meurtre d’un frère paraisse renfermer tous les crimes ensemble, cependant, pour arriver à cet horrible attentat, il s’était frayé la route par d’autres forfaits. Auria, femme de son frère, était enceinte, et paraissait approcher du terme de sa grossesse ; il l’empoisonna, pour faire périr à la fois et sa belle-sœur et l’enfant de son frère. Bientôt il en vint à ce frère lui-même. Cet infortuné avait déjà dans le sein le breuvage mortel, lorsqu’il s’écria qu’il était empoisonné comme sa femme, et voulut, mais trop tard, changer son testament. Il mourut en exprimant cette dernière volonté. Ainsi le scélérat fait périr une femme pour que l’enfant qui naîtrait d’elle ne lui enlève point l’héritage fraternel ; ainsi, il prive de la vie ses propres neveux, avant qu’ils aient pu recevoir de la nature le bienfait de la lumière ; afin que tout le monde comprenne qu’il n’est point contre ses fureurs d’asile inviolable, puisque le sein même d’une mère n’a pu mettre à l’abri de ses coups les enfants de son frère.

Je me souviens que, pendant mon séjour en Asie, une femme de Milet, gagnée par des héritiers subrogés, ayant détruit, à l’aide de potions meurtrières, le fruit qu’elle portait, fut jugée criminellement et condamnée. Cet arrêt était juste. Elle avait ravi à un père l’espoir de son nom et le soutien de sa race ; à une famille, son héritier ; à