Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/466

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pianicus, dont Scamander était l’instrument, avait été le plus mortel ennemi de Cluentius, et l’était encore. Si je soutenais que la mort de Cluentius n’eût procuré à Scamander aucun avantage, il en convenait ; mais il répondait que tous les biens de Cluentius devaient passer à la femme de cet Oppianicus, à qui le meurtre de ses femmes coûtait si peu. Si j’alléguais ce qu’on regarda toujours dans un affranchi comme une présomption d’innocence, que Scamander possédait l’estime de son patron, il en tombait d’accord ; mais il demandait si ce patron lui-même possédait l’estime de quelqu’un. Comme j’avais insisté longtemps sur la supposition qu’un piége avait été tendu par Diogène à Scamander ; que leur entrevue avait un tout autre motif ; que Diogène avait promis d’apporter un médicament et non un poison ; que personne n’était à l’abri de pareille surprise ; il me demandait pourquoi ce rendez-vous dans un lieu si secret ; pourquoi Scamander y était venu seul ; pourquoi il avait sur lui cette somme d’argent soigneusement cachetée. Ici enfin, j’étais confondu par les témoins les plus irrécusables. M. Bébrius déclarait que l’esclave avait été acheté d’après son conseil, et que Scamander avait été saisi en sa présence avec l’argent et le poison. P. Quintilius Varus, homme d’une probité scrupuleuse et d’un caractère qui commande la confiance, disait que Cléophante lui avait parlé, quand le fait était encore récent, de l’attentat médité contre Cluentius, et de la séduction essayée sur Diogène. Or, dans ce procès, où je paraissais défendre Scamander, celui-ci n’était l’accusé que de nom : tout le péril de l’accusation tombait réellement sur Oppianicus. Ce qu’il en pensait lui-même n’était point équivoque, et il ne pouvait plus dissimuler ses craintes. Il ne quittait point les débats ; il y venait entouré de ses amis ; il mettait en œuvre toutes les ressources du crédit et de l’intrigue ; enfin, par une imprudence qui devint fatale à cette cause, on le voyait assis en ce lieu même, sur le banc des accusés, comme si c’était lui qui fût en jugement. Les yeux de tous les juges étaient fixés, non sur Scamander, mais sur Oppianicus. Sa frayeur, son trouble, l’embarras et l’inquiétude qui se peignaient dans ses regards ; la couleur de son visage, qui changeait à chaque instant, tout portait au plus haut degré d’évidence ce qui jusqu’alors n’était fondé que sur des présomptions.

XX. Lorsqu’il fallut aller aux opinions, C. Junius, président du tribunal, demanda à l’accusé, d’après la loi Cornélia, alors en vigueur, s’il voulait que l’on prononçât sur son sort de vive voix ou au scrutin. Oppianicus dicta la réponse : on demanda le scrutin, sous prétexte que Junius était ami de l’accusateur. Les suffrages furent recueillis, et toutes les voix, excepté une que Stalénus disait être la sienne, condamnèrent Scamander dès la première action. Quel fut alors celui qui, dans la condamnation de Scamander, ne vit pas celle d’Oppianicus ? Qu’avait-on prononcé par ce jugement, si ce n’est que du poison avait été préparé pour faire périr Cluentius ? Or s’éleva-t-il, ou pouvait-il s’élever contre Scamander le plus léger soupçon qu’il eût formé de lui-même le projet de cet assassinat ?

Quand cet arrêt fut rendu, et qu’Oppianicus fut ainsi condamné par le fait et par l’opinion générale, s’il ne l’était pas encore par la loi et