Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/478

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sa grandeur, non sur les agitations populaires, mais sur son propre mérite et l’innocence de sa vie, ni C. Popillius, ni Q. Métellus, deux hommes si vertueux et si renommés, ne purent cependant résister à la puissance tribunitienne. Où donc, dans un siècle comme le nôtre, avec de telles mœurs et de tels magistrats, où trouver une sauvegarde, si votre sagesse et la justice de vos arrêts ne viennent à notre secours ? Ce ne fut donc point un jugement, non, ce ne fut point un jugement qui condamna Junius, puisque la modération n’y présida point, que les lois et les formes n’y furent point observées, que la cause même ne fut pas défendue. Ce fut un abus de la force ; ce fut, comme je l’ai déjà dit, une catastrophe, une tempête, tout, plutôt qu’un jugement, une discussion, un procès. S’il en est encore qui veuillent conserver à cet acte le nom de jugement, et s’en tenir à ce qu’il a prononcé, qu’ils séparent au moins cette cause de la nôtre. C’est, dit-on, pour n’avoir pas fait le serment ordinaire, ou pour n’avoir pas, aux termes de la loi, tiré au sort les juges suppléants, que Junius fut condamné. Or les lois qui servirent de prétexte à cette condamnation ne peuvent avoir aucun rapport à l’affaire de Cluentius. — Mais Bulbus fut aussi condamné. — Ajoutez : pour crime d’État, afin que vous sachiez que cette cause n’avait rien de commun avec la nôtre. — Mais on lui reprocha sa vénalité. —— Je l’avoue ; mais il fut prouvé par une lettre de C. Cosconius et par de nombreux témoignages qu’il avait voulu soulever une légion en Illyrie ; crime prévu par la loi de majesté, et dont la connaissance appartenait au tribunal qui le jugea. L’accusation de vénalité lui fut, dites-vous, plus fatale que tout le reste. — C’est tout au plus une conjecture ; et, s’il est permis de se livrer à des conjectures, la mienne pourrait bien être plus vraisemblable que la vôtre. Je pense, moi, que Bulbus, amené devant le tribunal avec la réputation d’un homme vil et déshonoré, d’un méchant souillé de mille forfaits, en dut être plus facilement condamné : et vous, parmi tous les griefs imputés à Bulbus, vous en choisissez un à votre gré, pour en faire le motif de sa condamnation.

XXXVI. La condamnation de Bulbus ne doit donc pas plus nuire à notre cause, que celles de Popillius et de Gutta, dont on se fait un titre contre nous. C’est de brigue en effet qu’ils furent accusés ; ils le furent par des hommes condamnés eux-mêmes comme coupables de brigue. Assurément si ceux-ci furent relevés de la peine qu’ils avaient encourue, ce ne fut pas pour avoir convaincu Popillius et Gutta de vénalité dans les fonctions de juges ; ce fut pour avoir prouvé qu’en vengeant sur d’autres la loi enfreinte par eux —mêmes, ils avaient mérité la récompense que cette loi promettait. C’est pourquoi tout le monde est bien persuadé, je pense, que cette condamnation, qui eut pour objet le crime de brigue, n’a aucun rapport avec la cause de Cluentius et l’affaire soumise à votre décision. Mais on cite encore le jugement qui a frappé Stalénus. Je ne dis pas en ce moment ce que je devrais dire peut-être, qu’il a été condamné comme criminel d’État ; je ne lis pas les témoignages rendus contre lui par les hommes les plus distingués, anciens lieutenants, préfets, tribuns militaires sous l’illustre M. Émilius ; témoignages qui ont démontré jusqu’à l’évi-