Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/48

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teur ; on sait que l’appât du gain vous a séduit. Toutefois la crainte des juges et la loi Remmia auraient dû ralentir un peu cette avidité si empressée.

XX. Il est utile que dans un État il y ait beaucoup d’accusateurs, afin que l’audace soit contenue par la crainte ; mais il ne faut pas qu’ils se jouent ouvertement du public. Un homme est innocent ; cependant l’innocence n’est pas toujours à l’abri de la suspicion. C’est un malheur sans doute toutefois, sous un certain rapport, je puis pardonner à celui qui l’accuse. Si les faits qu’il allègue donnent lieu aux soupçons et à la défiance, on ne peut pas dire qu’il se fait un jeu de calomnier et de tourmenter ses semblables. Ainsi donc nous souffrons sans peine qu’il y ait un grand nombre d’accusateurs, parce que, si l’on accuse un innocent, il peut être absous, et qu’un coupable ne peut être condamné, si on ne l’accuse pas. Or, que l’innocence soit réduite quelquefois à se justifier, c’est un moindre mal que si le crime n’était jamais accusé. Des oies sont entretenues dans le Capitole aux dépens du public, des chiens y sont nourris, afin qu’ils avertissent les gardiens, si des voleurs se présentent. Ces animaux ne connaissent pas les voleurs ; mais ils donnent l’alarme, lorsque, pendant la nuit, ils entendent quelqu’un s’introduire dans le Capitole ; et comme cette démarche est suspecte, leur erreur même, s’ils se trompent, est utile à la sûreté du temple. Si les chiens aboyaient aussi, durant le jour, contre ceux qui viennent adorer les dieux, ils mériteraient qu’on les assommât, parce qu’ils seraient défiants, lorsqu’il n’y aurait aucun lieu au soupçon. Il en est de même des accusateurs parmi vous, les uns sont les oies qui crient sans faire de mal ; les autres sont les chiens, qui peuvent aboyer et mordre. Nous voyons qu’on a soin de vous nourrir ; mais votre premier devoir est de vous jeter sur ceux qui le méritent : le peuple vous en saura gré. Ensuite, si l’apparence du crime éveille vos soupçons, aboyez, si vous voulez : on peut encore vous le permettre. Mais si vous accusez un fils d’avoir tué son père, sans pouvoir dire ni pourquoi, ni comment il l’a tué ; si vous aboyez, sans que rien excite le soupçon, l’on ne vous assommera pas ; mais, ou je connais mal les juges qui nous écoutent, ou cette lettre, qui vous est tellement odieuse que vous avez toutes les lettres en aversion, vous sera imprimée sur le front, de manière que vous ne pourrez plus accuser que votre mauvaise fortune.

XXI. Excellent accusateur, quels faits avez-vous allégués contre moi ? quels soupçons avez-vous fait naître dans l’esprit des juges ? Sextus a craint d’ètre déshérité ! — Pourquoi cette crainte ? Personne ne le dit. Son père était dans l’intention de le déshériter ! — Expliquez-vous ; je ne vois rien, ni celui que le père a consulté, ni celui qu’il a instruit de son projet, ni ce qui a pu vous induire à le soupçonner. Accuser ainsi, Érucius, n’est-ce pas dire ouvertement : Je sais ce que j’ai reçu ; je ne sais pas ce que je dois dire ; j’ai cru, sur la foi de Chrysogonus, que l’accusé ne trouverait pas un seul défenseur ; qu’au temps où nous vivons, nul ne serait assez audacieux pour prononcer un mot sur la vente des biens et sur cette association. Voilà l’erreur qui vous a jeté dans l’embarras où vous êtes. Certes vous n’auriez pas ouvert la bouche, si vous aviez pensé qu’on dût vous répondre. Juges, vous avez remarqué peut-être avec quelle légèreté et quelle