Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/486

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simple greffier, D. Matrinius, devant les préteurs M. Junius et Q. Publicius, et les édiles curules M. Plétorius et C. Flaminius. Ces magistrats avaient leur serment à garder, et cependant, à ma persuasion, ils choisirent pour greffier celui que les censeurs même dont nous parlons avaient dépouillé de ses privilèges. Ne le trouvant coupable d’aucune faute, ils crurent qu’il fallait s’arrêter à ce qu’il avait mérité, et non à ce qu’il avait souffert. Quant aux notes qui se rapportent à l’arrêt de Junius, quelqu’un pense-t-il qu’elles soient fondées sur une instruction sérieuse et approfondie de l’affaire ? Elles ont pour objet M. Aquillius et T. Gutta. Eh quoi ! deux juges seulement furent corrompus ! Et les autres ? apparemment ils condamnèrent sans intérêt ? L’accusé ne fut donc pas victime de l’intrigue, ni accablé par la puissance de l’or ; il n’est donc pas vrai, comme Quintius le répétait dans toutes ses harangues, que tous ceux qui eurent part à la condamnation doivent être soupçonnés d’une honteuse vénalité. Je ne vois que deux juges prévenus, par la décision des censeurs, d’avoir trempé dans ce prétendu complot ; ou bien il faudrait dire que s’être assuré de la prévarication de deux juges, c’est avoir reconnu tous les autres prévaricateurs.

XLVI. Car on ne nous fera pas croire que, dans les actes de leur autorité, les censeurs aient pris pour modèle la justice des camps. Nos pères ont voulu que, si un grand nombre de soldats trahissaient à la fois leur devoir, le sort en livrât quelques-uns à un juste châtiment, afin d’inspirer à tous, sans que tous fussent punis, une crainte salutaire. Est-ce donc aussi au gré du sort que les censeurs doivent marquer les rangs dans l’ordre social, prononcer sur l’honneur des citoyens, flétrir les actions vicieuses ? Le combattant qui lâcha pied, et dont l’attaque impétueuse de l’ennemi ébranla le courage, peut se montrer dans la suite meilleur soldat, honnête homme, bon citoyen. Aussi, pour empêcher que la crainte n’engage le guerrier à faillir en présence de l’ennemi, nos ancêtres ont placé pour lui au delà des combats une autre terreur, celle des supplices et de la mort ; mais en même temps, pour ne pas frapper un trop grand nombre de coupables, ils ont voulu que le sort désignât les victimes. Vous, censeurs, est-ce aussi le sort que vous consulterez sur le choix des sénateurs ? Si plusieurs juges se sont vendus pour condamner un innocent, au lieu de sévir contre tous, vous choisirez au hasard ; et le sort vouera quelques noms à une ignominie dont il sauvera tous les autres ! Ainsi, de votre aveu et sous vos yeux, le sénat verra, sur la liste de ses membres, le peuple romain sur celle des juges, la république sur celle des citoyens honnêtes, un homme qui, pour perdre un innocent, aura honteusement vendu sa conscience et sa religion ! Et celui qui, pour un vil intérêt, aura privé de sa patrie, de son existence, de ses enfants, un homme injustement accusé, ne sera point livré par les censeurs à l’infamie qu’il a méritée ! Et vous serez le gardien des mœurs, le conservateur des principes et de la discipline antiques, vous, qui laissez volontairement siéger parmi les sénateurs le coupable souillé d’un si grand crime, ou qui jugez que le même délit ne doit pas encourir le même châtiment ! Les chances auxquelles nos ancêtres ont soumis, dans la guerre, la punition du soldat timide, vous y soumettez dans la paix celle du