Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/504

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vent, rapprochés par de nouveaux liens de famille, des ennemis abjurent les vieilles haines qui les divisaient ; elle, c’est dans les liens sacrés de la parenté qu’elle voit le gage d’une haine irréconciliable. Mais les soins de cette mère ne se bornèrent pas à susciter un accusateur à son fils ; son active prévoyance s’étendit au moyen de soutenir l’accusation. De là tant de menaces et de promesses mises en œuvre pour faire parler des esclaves. De là ces tortures cruelles et prolongées, auxquelles l’autorité de ses amis est obligée enfin de mettre un terme, que n’y mettait pas la pitié d’une femme. C’est cette même soif du crime qui, après trois ans, recommence les tortures à Larinum ; le même délire, qui fabrique les faux interrogatoires ; la même frénésie, qui arrache la langue à un malheureux. Enfin toute cette accusation, c’est elle seule qui en a conçu le plan ; elle seule en a concerté les odieux moyens. Après avoir elle-même fait partir pour Rome, armé de toutes pièces, l’accusateur de son fils, elle reste quelque temps à Larinum, afin de rassembler et d’acheter des témoins. Mais bientôt, avertie que le procès va commencer, elle accourt en toute hâte ; elle a peur que le zèle ne manque aux accusateurs ou l’argent aux témoins ; ou plutôt elle craint de perdre le spectacle, si doux à ses yeux maternels, d’un fils abîmé dans la douleur, et couvert des marques lugubres du deuil et de l’infortune.

LXVIII. Cependant, représentez-vous, juges, quel dut être le voyage de cette femme pour venir à Rome. Grâce à mon voisinage de Vénafre et d’Aquinum, la renommée m’a tout appris, et tous les détails m’en sont connus. Quel concours dans ces deux villes ! quels gémissements et des hommes et des femmes ! Une mère partir de Larinum et des rivages de la mer Adriatique, et traîner jusqu’à Rome une suite nombreuse et des sacs pleins d’argent ! Et pourquoi ? pour surprendre à la justice un arrêt de mort contre son fils ! Il n’y avait personne, j’oserai presque le dire, qui ne crût nécessaire de purifier les lieux par où elle avait passé ; personne qui ne crût la terre, cette mère commune de tous les hommes, souillée par les traces impures de cette mère dénaturée. Aussi ne lui fut-il permis de s’arrêter dans aucune ville. De tous les hôtes qu’elle avait dans ce pays, il ne s’en trouva pas un seul qui ne se dérobât à la contagion de sa honte en fuyant son aspect. Elle était réduite à chercher la nuit et la solitude, plutôt que la société des hommes ou un toit hospitalier. Et les intrigues qui l’occupent aujourd’hui, ses odieuses manœuvres, les affreuses pensées qui ne la quittent jamais, croit-elle qu’aucun de nous les ignore ? Nous savons qui elle a sollicité, à qui elle a promis de l’argent, de qui elle a tenté de séduire la probité par l’appât de l’or. Ses sacrifices même, qu’elle croit mieux cachés dans les ombres de la nuit, ses prières abominables et ses vœux sacrilèges, nous connaissons tout. L’insensée ! elle voudrait rendre les dieux immortels complices de ses forfaits ; et elle ne comprend pas que c’est la piété, la religion, des prières innocentes, qui fléchissent les dieux, et non de superstitieuses horreurs, ni des victimes immolées pour le succès d’un crime. Aussi les dieux indignés ont repoussé, je n’en doute pas, de leurs augustes sanctuaires, ces vœux cruels et ces hommages parricides.

LXIX. Et vous, citoyens, que la fortune a donnés à Cluentius pour être désormais sur la terre ses dieux tutélaires, sauvez la tête d’un fils des fureurs de sa mère. Souvent des juges accor-