Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais comme il s’agit aussi du meurtre de Saturninus, vous avez voulu rétrécir et resserrer cette seconde partie, qui ne veut point le talent d’un orateur, mais pour laquelle on réclame et on invoque le secours du consul.

Vous répétez sans cesse que j’ai aboli les jugements de haute trahison : c’est moi que l’affaire regarde, et non Rabirius. Et plût aux dieux, Romains, que je fusse le premier ou le seul qui eusse fait disparaître de nos institutions une telle barbarie ! Plût aux dieux que ce dont il me fait un crime me fût un titre de gloire personnel ! Que pourrais-je désirer plus vivement que d’avoir chassé le bourreau du forum, arraché la croix du Champ de Mars ? Mais cet honneur, Romains, appartient d’abord à nos ancêtres, qui, après l’expulsion des rois, ne voulurent laisser, chez un peuple libre, aucune trace de la cruauté des rois ; ensuite à plusieurs citoyens courageux, qui ont voulu que notre liberté, au lieu d’épouvanter par la rigueur des supplices, fût garantie par la douceur des lois.

IV. Eh bien ! lequel de nous, Labiénus, est l’ami du peuple ? Est-ce vous qui voulez que, dans l’assemblée même, on livre les citoyens romains au bourreau, et qu’on les charge de fers ; vous, qui demandez qu’au Champ de Mars, dans les comices par centuries, dans un lieu consacré par les auspices, on plante et on élève une croix pour le supplice des citoyens ? ou moi, qui défends de profaner l’assemblée publique par la présence funeste d’un bourreau ; moi qui veux qu’on efface les vestiges d’un crime odieux de la place où se réunit le peuple romain ; moi qui soutiens qu’il ne faut point laisser porter atteinte au caractère sacré de vos assemblées, à la sainteté du Champde Mars, à l’inviolabilité de la personne de tous les citoyens romains, à l’intégrité de leurs droits et de leur liberté ? Le voilà ce digne tribun, l’ami du peuple, le défenseur et le soutien des lois et de la liberté publique ! La loi Porcia a délivré les citoyens romains de la honte d’être frappés de verges ; l’humanité de Labiénus nous ramène le régime du fouet. La loi Porcia garantit la liberté des personnes contre la barbarie du licteur ; ce tribun, le père du peuple, la livre au bourreau. C. Gracchus a promulgué une loi qui ne permet pas de prononcer sans votre consentement sur la vie d’un citoyen : le défenseur du peuple veut, non pas faire juger sans votre ordre un citoyen par les duumvirs, mais le faire condamner à mort sans les formes légales. Et vous osez parler ici de la loi Porcia, de C. Gracchus, de notre liberté, d’un citoyen populaire, vous, Labiénus, vous qui, par des supplices inconnus jusqu’alors, et par la cruauté même d’un langage inouï parmi nous, avez essayé de violer la liberté du peuple romain, de corrompre son humanité et de changer ses institutions ! Voici en effet les paroles que vous prononcez avec plaisir, vous débonnaire et ami du peuple : Va, licteur, attache les mains du condamné ; paroles qui répugnent à un gouvernement libre et doux comme le nôtre ; paroles indignes même des rois tels que Romulus et Numa Pompilius, mais qu’il faut faire remonter à un Tarquin, le plus superbe et le plus cruel des tyrans. Telles sont les formules de torture et de mort que se plaît à rappeler votre douceur et votre indulgence : Enveloppez la tête, attachez au poteau fatal ; paroles barbares que la république laisse depuis longtemps dans les ténèbres des temps passés, et que le grand jour de la liberté a fait disparaître.