Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/579

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comment supporter la guerre que la lâcheté déclare au courage, la folie à la sagesse, l’intempérance à la sobriété, le sommeil à la vigilance ? Il me semble les voir, dans leurs festins, couchés mollement sur des lits somptueux, tenant dans leurs bras des femmes impudiques, affaissés par l’ivresse, gorgés de nourriture, couronnés de guirlandes, inondés de parfums, énervés de débauches, vomir dans leurs obscènes entretiens les mots affreux de carnage et d’incendie.

Ils sont, je n’en doute pas, entraînés par une fatalité ennemie ; et si le châtiment dû à leur perversité, à leurs dissolutions, à leurs crimes, ne les frappe pas à l’instant, du moins le temps de la justice n’est pas éloigné. Puisse mon consulat retrancher de la république ces membres gangrenés qu’il ne saurait guérir ; et cette heureuse époque assure à notre empire des siècles de durée. Il n’est au monde aucune nation qui nous soit redoutable, aucun roi qui puisse faire la guerre au peuple romain ; tout au dehors est pacifié sur terre et sur mer par la valeur d’un héros. Une guerre domestique nous reste : c’est au dedans que sont les embûches ; c’est au dedans qu’est renfermé le péril ; c’est au dedans que l’ennemi nous attaque. C’est avec le luxe, avec la démence, avec le crime qu’il nous faut combattre : nouveau genre de guerre dans lequel je me déclare votre chef. Oui, Romains, je prends sur moi la haine des pervers. Toutes les plaies qui pourront être guéries, je veux à tout prix les guérir ; mais je saurai aussi retrancher par le fer ce qui causerait trop sûrement la ruine de l’État. Qu’ils sortent donc, ou qu’ils restent tranquilles ; ou s’ils ne veulent ni sortir de Rome, ni renoncer à leurs complots, qu’ils tremblent ! ils subiront la peine qu’ils méritent.

VI. Mais il en est, citoyens, qui prétendent que j’ai, par un ordre tyrannique, exilé Catilina. Ah ! s’il ne fallait qu’un ordre de ma bouche, j’exilerais aussi ceux qui tiennent ce langage. Catilina, je le crois, homme timide et modeste à l’excès, n’a pu soutenir la voix du consul. Au premier mot d’exil, il s’est soumis, il est parti. Hier, citoyens, après avoir failli d’être assassiné dans ma maison, je convoquai le sénat dans le temple de Jupiter Stator : j’y révélai toute la conjuration. Lorsque Catilina vint à paraître, y eut-il un sénateur qui lui adressât la parole, qui le saluât, qui ne le regardât de l’œil dont on regarde, je ne dis pas un mauvais citoyen, mais un mortel ennemi ? Que dis-je ? les sénateurs les plus distingués, fuyant son approche, laissèrent vide tout le côté des sièges où il alla se placer. C’est alors qu’avec cette voix menaçante qui d’un mot chasse les citoyens en exil, je demandai à Catilina s’il était vrai ou non qu’il eût tenu chez Léca une assemblée nocturne. Convaincu par sa conscience, il se tut malgré son audace. Alors je découvris tout ; je dis ce qu’il avait fait la nuit de cette assemblée ; ce qu’il avait résolu pour la suivante ; quel plan de guerre il avait adopté. Le voyant interdit, confondu, je lui demandai pourquoi il balançait à partir pour le lieu où il devait se rendre depuis si longtemps, puisqu’il avait envoyé devant lui des armes, des haches, des faisceaux, des trompettes, des étendards, et même cette aigle d’argent, à laquelle il offrait, dans un sanctuaire impie, le crime pour encens. Ainsi je l’envoyais en exil, celui qui avait déjà com-