Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/607

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II. C’est d’abord à Caton, dont la vie entière est réglée sur la raison, et qui pèse si consciencieusement l’importance de tous nos devoirs, que je répondrai sur le mien. Caton prétend que ma dignité de consul, la loi contre la brigue dont je suis l’auteur, et la sévérité avec laquelle j’exerce le consulat, m’imposaient l’obligation de rester étranger à cette cause. Ce reproche me touche vivement, et me fait une loi de me disculper, non seulement à vos yeux, juges, comme je le dois avant tout, mais encore à ceux d’un personnage aussi recommandable et aussi intègre que Caton. Dites-moi, Caton, quel défenseur plus naturel un consul peut-il avoir qu’un consul ? La république a-t-elle un citoyen auquel je puisse, auquel je doive être plus attaché que celui qui a reçu de moi le soin de la soutenir, comme je l’ai fait au prix de mon repos et au péril de mes jours ? Si, quand on réclame la mise en possession d’une propriété légitimement acquise, celui qui s’est engagé par la vente doit garantir l’acquéreur de toutes les chances du jugement, n’est-il pas plus juste encore que, dans la cause d’un consul désigné, son prédécesseur, celui qui l’a déclaré consul, écarte de lui les périls qui le menacent et le maintienne en possession des bienfaits du peuple romain ? Et si, suivant l’usage de quelques cités, on nommait, pour cette cause, un défenseur d’office, sans doute on confierait de préférence le soin de plaider pour un homme destiné à une dignité, celui qui, revêtu de la même dignité, joindrait l’autorité du magistrat au talent de l’orateur. Les navigateurs qui rentrent dans le port après une longue traversée, ont coutume de donner à ceux qui mettent à la voile des avis qui les prémunissent contre les tempêtes, les pirates, et les écueils ; sentiment naturel, qui nous inspire de l’intérêt pour ceux qui vont braver les périls auxquels nous avons échappé nous-mêmes. Et moi, qui, après une si terrible tourmente, aperçois enfin la terre, ne dois je pas m’intéresser à un homme que je vois prêt à se risquer sur cette mer orageuse ? Enfin si le devoir d’un consul est non-seulement de veiller au présent, mais de songer à l’avenir, je montrerai plus loin combien il importe au salut général que la république ait deux consuls aux calendes de janvier. Et l’on verra que c’était moins la voix de l’amitié qui m’engageait à défendre la fortune de Muréna, que celle de la république qui appelait le consul à la défense du salut de tous.

III. J’ai porté une loi contre la brigue ; mais mon intention n’a pas été d’abroger celle que depuis longtemps je m’étais imposée à moi-même, de me vouer à la défense de mes concitoyens. Si j’avouais que mon client a acheté les suffrages, et si je prétendais qu’il a eu raison de le faire, j’aurais tort, un autre fût-il l’auteur de la loi. Mais comme je soutiens que la loi n’a pas été violée, pourquoi sa promulgation me rendrait-elle impossible la défense de cette cause ?

Caton prétend qu’il ne peut reconnaître dans le défenseur de Muréna ce sévère consul, dont les paroles et presque les ordres ont chassé de Rome Catilina, qui préparait au sein de nos murs la destruction de la république. J’ai toujours suivi volontiers l’impulsion naturelle qui me porte à la douceur et à l’indulgence : quant à ce rôle de rigueur et de sévérité, je n’ai jamais été jaloux de m’en charger : il m’a été imposé par la république, et je l’ai accompli comme l’exigeaient la dignité du pouvoir consulaire et le danger de