Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/622

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se répandit dans la ville avec le bruit des discours que cet infâme gladiateur avait tenus dans une assemblée secrète : « Les malheureux, disait-il, ne peuvent trouver de défenseur fidèle que dans un malheureux ; les promesses des gens riches et puissants ne doivent inspirer aucune confiance aux citoyens pauvres et ruinés. Que ceux qui veulent réparer leurs pertes, recouvrer les biens qui leur ont été ravis, considèrent ce que je dois moi-même, ce que je possède, ce que j’ose. A des misérables, il faut pour marcher à leur tête un chef misérable et audacieux. »

C’est alors, vous vous le rappelez, que sur ces bruits alarmants, je provoquai le sénatus-consulte qui retarda les comices du lendemain, afin que le sénat pût délibérer sur cette affaire. Le lendemain, en pleine assemblée, je fis lever Catilina, et lui ordonnai de répondre sur les faits qui m’avaient été révélés. Catilina, dont l’audace ne daigna jamais dissimuler, au lieu de désavouer son crime, se dénonça lui-même et leva tout à fait le masque. Il dit « qu’il y avait deux corps dans la république, l’un faible avec une tête plus faible encore, l’autre plein de force, mais manquant de tête. Quant à lui, il avait reçu trop de bienfaits de ce dernier, pour ne pas lui servir de tête aussi longtemps qu’il vivrait. » Les murmures du sénat furent unanimes ; mais la sévérité de son arrêt n’égala pas l’indignité d’une telle conduite. La confiance des uns, la pusillanimité des autres empêchèrent de prendre un parti vigoureux. Alors, joyeux et triomphant, il s’élança hors du sénat, lui qui n’aurait pas dû en sortir vivant, surtout après la réponse que, peu de jours auparavant, il avait eu l’audace de faire à Caton, au sein même de cette assemblée. Comme ce dernier le menaçait de le poursuivre devant les tribunaux : « Si l’on ose, dit-il, mettre le feu à l’édifice de ma fortune, ce n’est pas avec de l’eau, c’est sous des ruines que j’éteindrai l’incendie. »

XXVI. Alarmé de tant d’audace, et sachant que les conjurés marchaient vers le Champ de Mars, par l’ordre de Catilina, j’y descendis moi-même, escorté d’une garde brave et fidèle, revêtu d’une large et brillante cuirasse, non pour couvrir mes flancs et ma poitrine (car je savais que Catilina n’aimait à frapper qu’à la tête et à la gorge), mais pour faire comprendre à tous les gens de bien, en leur montrant les craintes et le danger d’un consul, qu’il fallait accourir, comme ils l’ont fait, pour le défendre et lui porter secours. Aussi, Sulpicius, lorsqu’on vit l’ardeur de vos démarches se ralentir, l’espérance et l’ambition de Catilina devenir plus ardentes, tous ceux qui voulaient détourner de la république un pareil fléau, se rangèrent aussitôt du côté de Muréna. Dans les comices consulaires ; rien n’est plus puissant que cet entraînement soudain des volontés, surtout quand il se porte sur un homme de bien qui réunit tant d’autres titres à la faveur publique. Né d’un père et d’aïeux illustres, après une jeunesse irréprochable, une lieutenance glorieuse, une préture signalée par la justice, par l’éclat de ses fêtes, la sagesse de son administration, il a sollicité le consulat avec ardeur, sans céder aux menaces, sans menacer personne. Est-il donc surprenant qu’un tel homme ait trouvé un puissant secours dans l’espérance subite que Catilina osa manifester d’obtenir le consulat ?

Me voici arrivé à la troisième partie du discours, aux accusations de brigue, accusations déjà réfutées par ceux qui ont parlé avant moi, et dont