Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de pirates par un brigand, il s’avança, avec quelle importance ! tout plein encore de vin, de sommeil, de débauche, la chevelure arrangée avec art et parfumée, les yeux appesantis, les joues flétries et pendantes, la voix étouffée et embarrassée ; il désapprouvait fort, disait-il (croyons-en ce grave personnage), qu’on eût fait mourir des citoyens sans les avoir jugés. Où donc est restée cachée si longtemps une autorité si imposante ? pourquoi l’austère vertu de ce brillant danseur est-elle restée si longtemps ensevelie dans l’obscurité des tavernes et des plus infâmes repaires ?

VI. Quant à son collègue, ce Césonius Calventius a fréquenté le forum dès sa jeunesse ; alors il ne se recommandait que par les dehors d’une feinte austérité et non par l’étude du droit, ni par le talent de la parole, ni par la science de la guerre, ni par la connaissance des hommes, ni par aucun noble sentiment. À cet air négligé, triste, sauvage, on l’eût pris, en passant près de lui, pour un homme rude et grossier, plutôt que pour un homme vicieux et corrompu. Se trouver dans le forum avec un être pareil, ou avec un imbécile Éthiopien, n’était-ce pas la même chose ? Sans esprit, sans goût, sans parole, dénué de mouvement et de grâce, on eût dit d’un Cappadocien tiré d’une troupe d’esclaves tout récemment achetés. Mais chez lui quelle licence ! quel dérèglement ! quelle foule de voluptés introduites par une porte dérobée ! Veut-il étudier les lettres, ce débauché stupide ? veut-il philosopher avec ses Grecs ? alors il est épicurien, non pour avoir approfondi cette doctrine, quelle qu’elle soit, mais parce qu’il est séduit par le seul mot de volupté. Les maîtres d’un pareil homme ne sont pas ces philosophes ridicules qui passent les jours entiers à parler de morale et de vertu, qui exhortent au travail, à l’exercice des facultés de l’esprit, à braver les périls pour la patrie ; mais ceux qui soutiennent qu’il ne doit y avoir, ni dans la vie aucun moment sans plaisir, ni dans le corps aucune partie sans quelque jouissance agréable et délicieuse. Ce sont là comme ses intendants de débauche ; ce sont eux qui cherchent partout ce qui peut flatter les sens ; ce sont eux qui assaisonnent et qui ordonnent un repas ; ce sont encore eux qui étudient et apprécient les voluptés, qui prononcent sur les passions, qui jugent de ce qu’il faut accorder à chacune. C’est d’après leurs leçons et leurs préceptes, que Pison a poussé le mépris pour une nation amie de la vertu, au point de croire qu’il pouvait lui cacher tous ses désordres et ses infamies, pourvu qu’il apportât dans le forum son air dur et farouche.

VII. Il m’a trompé, ou plutôt ce n’est pas moi qu’il a trompé ; car étant allié aux Pisons, je savais combien le sang d’une mère gauloise, née au delà des Alpes, l’avait fait dégénérer de la race paternelle ; il vous a trompés vous et le peuple romain, non par sa politique, ni par son éloquence, comme on en a vu tant d’exemples, mais par les rides de son front et l’épaisseur de son sourcil. Avec un tel regard, je ne dirai pas avec un tel cœur, avec cette austérité feinte, je ne dirai pas avec cette vie régulière, avec cet épais sourcil, car je ne puis dire avec ces éclatants exploits, osiez-vous, Pison, vous associer à Gabinius pour ma ruine ? L’odeur de ses parfums, les fumées de son vin, les boucles de son élégante chevelure, ne vous faisaient-elles point penser que, lui ressemblant en effet, vous ne pourriez cacher plus long-