Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/753

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l’avez toujours aimée, non-seulement détruire ce monument par vos décrets, mais, s’il le fallait, le renverser de vos mains : à moins que la superstitieuse consécration de ce pontife si pur ne vous inspire des scrupules.

Ô merveilleuse cérémonie, dont les railleurs ne cesseront de plaisanter, mais que les hommes graves n’entendront jamais rappeler sans gémir ! Quoi ! ce même Clodius, qui a profané la maison du souverain pontife, aura consacré la mienne ! et vous, ministres de nos autels et de nos sacrifices, voilà donc votre maître, voilà le chef suprême de la religion ! Grands dieux ! daignez m’entendre. Est-il bien vrai que P. Clodius s’intéresse à votre culte, qu’il redoute votre puissance, qu’il croit le monde entier soumis à vos lois ? Ici même, ne se joue-t-il pas de l’autorité imposante de nos juges ? n’abuse-t-il pas, pontifes, de l’attention que vous nous prêtez ? Lui ! proférer, lui ! laisser échapper de sa bouche le nom même de la religion ; de cette bouche qui l’a indignement profanée, en déclamant contre le sénat, cet austère défenseur du culte des dieux !

XL. Regardez, regardez, pontifes, cet homme religieux, et, avec cette bonté qui sied au sacerdoce, daignez, je vous prie, l’avertir que la religion même a ses bornes ; qu’elle ne doit pas être portée jusqu’au fanatisme. Qu’aviez-vous besoin, enthousiaste que vous êtes, d’aller, avec une superstition de vieille femme, prendre part à des sacrifices dans une maison étrangère ? Comment avez-vous été assez simple pour croire que les dieux ne vous seraient propices qu’autant que vous vous seriez initié dans les dévotions des femmes ? Avez-vous jamais appris qu’aucun de vos ancêtres, fidèles à leur culte domestique, et revêtus des sacerdoces de l’État, ait jamais assisté aux mystères de la Bonne Déesse ? Aucun, pas même ceIui qui devint aveugle. La destinée de ces deux Clodius prouve l’erreur populaire : l’un, qui n’avait rien vu volontairement de ce qu’il n’est pas permis de voir, perdit la vue ; tandis (que l’autre, après avoir profané des cérémonies religieuses, non-seulement par ses regards, mais par un crime, par un infâme adultère, en est quitte pour un aveuglement d’esprit. L’autorité d’un personnage si chaste, si religieux, si saint, ne doit-elle pas vous toucher, pontifes, quand il déclare qu’il a renversé, de ses propres mains, la maison d’un bon citoyen, et que de ces mêmes mains, il l’a consacrée aux dieux ?

Quelle a pu être enfin cette consécration ? J’avais, dit-il, porté une loi qui m’y autorisait. Mais n’y aviez-vous pas inséré la clause d’usage, sauf le droit contraire ? Or, direz-vous, pontifes, que de plein droit, vous, vos maisons, vos autels, vos foyers, vos dieux pénates, vous devez être mis à la discrétion d’un tribun du peuple, et qu’après avoir lancé sur quelqu’un de vous ses bandes mercenaires, il puisse, non-seulement dans un premier transport, dans une fureur soudaine, abattre la maison de celui qu’il a frappé, mais encore la frapper d’un anathème irrévocable ?

XLI. J’ai toujours ouï dire, pontifes, que, dans les consécrations, la première chose était d’examiner quelle pouvait être la volonté des dieux : car il n’y a point de vraie piété, si l’on