Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/83

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ge d’un chevalier romain, homme d’honneur et votre juge. Il regarde autour de lui, il s’agite ; il prétend que nous ne lirons pas le témoignage de Cluvius. Nous le lirons ; vous êtes dans l’erreur ; vous vous flattez d’une vaine et frivole espérance. Lisez la déposition de T. Manilius et de G. Luscius Ocréa, tous deux sénateurs, tous deux personnages d’une haute considération, qui ont appris les faits de la bouche de Cluvius. Déposition de T. Manilius et de C. Luscius Ocréa.

XV. Eh bien ! Qui faut-il refuser de croire, Luscius et Manilius, ou Cluvius ? Parlons plus clairement. Prétendez-vous que Cluvius n’a rien dit des cent mille sesterces à Luscius et à Manilius, ou bien qu’il leur a fait un mensonge ? Ici je me sens parfaitement à l’aise et en toute tranquillité ; je m’inquiète peu de votre réponse. La cause de Roscius a pour appui le témoignage irréfragable et sacré des hommes les plus vertueux. Si déjà vous avez décidé quels sont ceux dont vous refusez de croire le serment, répondez. Est-ce Manilius et Luscius qu’il ne faut pas croire ? Répondez, osez dire le mot, il est digne de votre effronterie, de votre arrogance, de votre vie tout entière. Eh bien ! vous attendez que je vous dise que Manilius et Luscius sont deux sénateurs vénérables par leur âge et par leur rang ; d’un caractère antique et pur ; d’une fortune considérable ? Je n’en ferai rien. Je ne me nuirai point à moi-même en voulant leur payer ici le tribut des éloges qu’ils ont mérités par une vie consacrée à la vertu la plus sévère ; ma jeunesse a bien plus besoin de leur estime que leur vieillesse irréprochable n’a besoin de mes éloges. Mais vous,

Pison, c’est à vous à réfléchir mûrement et à délibérer si vous devez ajouter foi, plutôt à Chéréa témoignant librement dans sa propre, cause, qu’à Manilius et à Luscius déposant sur serment dans un procès qui leur est étranger. Reste à soutenir que Cluvius a dit à Manilius et à Luscius une chose qui n’est pas vraie. S’il le fait avec l’effronterie qui le distingue, réprouvera-t-il un témoin qu’il a lui-même choisi pour juge ? Dira-t-il qu’il faut refuser sa confiance à l’homme qui a obtenu la sienne ? Récusera-t-il devant Pison, le témoin dont la religion et la vertu, quand il était son juge, l’engageaient à recourir à des témoins ? Un homme qu’il devrait accepter pour juge, quand je l’aurais choisi moi-même, osera-t-il le récuser quand je le produirai comme témoin ?

XVI. Mais, répond-il, Cluvius a raconté le fait à Luscius et à Manilius, sans l’attester par serment. S’il avait fait serment, le croiriez-vous ? Quelle différence y a-t-il donc entre un parjure et un menteur ? Un homme accoutumé à mentir se parjure aisément. Celui que je puis engager à mentir, je le déterminerai sans peine à se parjurer. Quiconque s’est une fois écarté de la vérité, ne se fait pas plus de scrupule d’un parjure que d’un mensonge. Craindra-t-on la vengeance du ciel si l’on est sourd à la voix de sa conscience ? Aussi les dieux immortels n’ont-ils fait, pour le châtiment, aucune distinction entre le parjure et le menteur. Ce ne sont point, en effet les paroles dont se compose la formule du serment, mais bien la perfidie et la méchanceté par lesquelles on tend des pièges à autrui, qui allument et provoquent la colère des dieux. Eh bien ! moi,