Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vos juges. N’y eut-il personne pour vous répondre, vous ne sauriez même, je crois, exposer votre cause. Et vous ne pensez pas que vous aurez pour adversaire l’homme le plus éloquent, le plus habile dans l’art de bien dire ; qu’avec lui, il vous faudra, tantôt raisonner, tantôt combattre et lutter de mille manières. Moi, je loue son génie sans le craindre, et malgré l’estime que j’en fais, il lui est plus facile de me plaire que de me surprendre.

XIV. Jamais son adresse ne me réduira au silence ; jamais ses artifices ne me donneront le change ; jamais il n’essayera de m’ébranler et de me désarmer par la force de son génie : je connais toutes ses manières d’attaquer, toutes ses pratiques oratoires. Nous nous sommes vus souvent, tantôt plaidant les mêmes causes, tantôt opposés l’un à l’autre. En parlant contre moi, il craindra, malgré tout son talent, une lutte où son honneur sera engagé. Mais vous, Cécilius, comme il vous jouera, comme il vous tourmentera de toutes les façons ! je crois déjà le voir : que de fois il vous laissera la liberté d’opter entre deux partis ; Choisissez, vous dira-t-il : voulez-vous que cette chose soit ou ne soit pas ; que tel fait soit vrai ou faux ; quoi que vous disiez, ce sera contre vous. Dieux immortels ! que de peines et de sueurs, que de méprises, que de ténèbres pour un homme de si peu de malice que vous ! Et quand il se mettra à partager les membres de votre accusation, à compter sur ses doigts les différentes parties de la cause, à trancher court sur tel point, à éclaircir celui-ci, à décider celui-là : vous-même vous commencerez à craindre d’avoir mis l’innocence en péril. Et s’il en vient à s’apitoyer sur l’accusé, à le plaindre, à décharger Verrès d’une partie de la haine qu’on lui a vouée pour la rejeter sur vous ! à rappeler l’union que les lois ont établie entre le questeur et le préteur, les maximes de nos ancêtres, la religion du sort, pourrez-vous soutenir l’indignation qui naîtra contre vous d’un tel discours ? Prenez bien garde ; réfléchissez-y plus d’une fois, car j’ai lieu de craindre qu’il ne vous accable pas seulement du poids de sa parole, mais que, par un geste, un simple mouvement, il n’affaiblisse la vigueur de votre esprit et ne vous fasse oublier votre plan et vos idées. Nous allons en juger tout à l’heure ; car si vous répondez aujourd’hui à ce discoure, si vous vous écartez d’un seul mot de ce cahier que vous a donné je ne sais quel maître d’école qui l’a formé des discours des autres, je vous croirai capable de paraître avec honneur devant ce tribunal, et d’y suffire aux devoirs de votre cause. Mais si, contre moi et dans ce premier essai de vos forces, vous ne pouvez rien, que serez-vous donc dans le combat même, en présence d’un si terrible adversaire ?

XV. Soit ; par lui-même Cécilius n’est rien et ne peut rien ; mais il est escorté d’assesseurs pleins d’expérience et de talent. C’est quelque chose ; mais ce n’est point assez : car il faut toujours que le chef d’une entreprise soit le plus fort et le plus habile. Toutefois, je vois qu’il a pour premier assesseur L. Apuléius, qui, sans être jeune, n’en est pas moins un apprenti dans le barreau pour la pratique et l’expérience. Ensuite, il a, je crois, Alliénus, qui a paru du moins sur les bancs ; mais quant à son éloquence, je n’y ai jamais fait assez d’attention : pour crier, je sais qu’il a des