Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/127

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un seul homme qui refuse à ce dévouement son admiration et ses éloges ? Quels applaudissements ne fit-on pas entendre dernièrement à la nouvelle pièce de Pacuvius, mon hôte et mon ami, lorsque le roi ignorant lequel des deux est Oreste, Pylade s’écrie que c’est lui, afin de subir la mort pour son ami ; tandis qu’Oreste, au contraire, soutient, comme il est vrai, que lui seul est Oreste[1] ? Les spectateurs applaudissaient à une fiction : qu’eussent-ils fait pour une réalité ? La nature manifestait ainsi toute sa force ; car bien des hommes applaudissaient alors comme une belle action dans autrui, ce qu’ils ne seraient pas capables de faire eux-mêmes(10). Mais il me semble que j’en ai dit assez pour vous faire connaître ce que je pense sur l’amitié. Si vous en désirez davantage, et je crois en effet qu’il y a encore beaucoup à dire, adressez-vous aux philosophes qui ont l’habitude de ces discussions.

Fannius. Je les ai souvent consultés, et j’ai pris plaisir à leurs réponses ; mais nous aimons mieux vous entendre vous-même ; nous vous prions de suivre le fil de votre discours.

Scévola. Vous insisteriez bien davantage, Fannius, si vous aviez assisté dernièrement, dans les jardins de Scipion, à la discussion qui eut lieu sur la république. Avec quelle chaleur Lélius défendit la justice contre le discours captieux de Philus[2] !

Fannius. Hé, certes, il n’était pas difficile au plus juste des hommes de plaider la cause de la justice.

Scévola. Que sera-ce de l’amitié ? cela peut-il être difficile à celui qui s’est acquis la plus grande gloire en la cultivant avec la fidélité, la constance et la probité la plus parfaite ?

  1. Voy. de Finibus, V, 22, tom. XXIII, p. 464. Lucien dit que les Scythes sacrifiaient à Oreste et à Pylade.
  2. Un des interlocuteurs des dialogues sur la République.