Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/135

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penchant à lui rendre qu’à réclamer des services. Il s’établit ainsi entre eux un combat de générosité. C’est de cette manière que l’amitié procure, en effet, les avantages les plus précieux, quoiqu’elle n’ait pas d’autre origine que la nature même, origine plus noble et plus pure que ne le serait la faiblesse. Si l’intérêt formait le nœud de l’amitié, l’intérêt, venant à changer, ne pourrait manquer de le rompre. Mais la nature ne pouvant changer, la véritable amitié est éternelle. Vous voyez par là quelle est son origine : auriez-vous quelque chose à dire ?

Fannius. Nous vous prions de continuer, Lélius : en répondant pour Scévola, je ne fais qu’user de mon droit d’aînesse.

Scévola. Vous ne pouviez mieux répondre. Écoutons.

X.Lélius. Écoutez donc les réflexions qu’il nous est souvent arrivé, à Scipion et à moi, de faire sur l’amitié. Il disait qu’il était bien difficile qu’elle se soutînt jusqu’à la mort[1], soit parce qu’il peut venir un moment où les intérêts se contrarient, soit parce qu’on est divisé d’opinion sur les affaires publiques. Il disait encore que les hommes changent souvent de mœurs, les uns dans l’adversité, les autres dans l’âge avancé ; et il citait pour exemple les enfants, qui presque toujours dépouillent avec la robe prétexte les plus vives affections de leurs premières années ; si même elles se conservent jusqu’à l’adolescence, il suffit alors quelquefois pour les détruire d’une rivalité d’amour, ou d’une concurrence d’intérêts ; et si quelques unes s’étendent plus loin, elles viennent souvent expirer dans la poursuite d’une même dignité. Il disait surtout que le poison le plus funeste à l’amitié, c’est la passion de

  1. « L’amitié est le mariage de l’âme, et ce mariage est sujet au divorce. » Voltaire.