Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/173

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et le mien. Dans ces deux circonstances, il agit avec dignité, sans montrer ni aigreur ni ressentiment. Il faut donc d’abord écarter avec soin tout sujet de rupture[1], et, lorsqu’on ne peut l’éviter, faire en sorte que l’amitié paraisse plutôt éteinte qu’étouffée. Mais prenons garde surtout qu’elle ne se change en une violente inimitié, qui amène toujours avec elle des injures, des querelles, des outrages. Même alors il vaut toujours mieux supporter ces attaques, pour peu qu’elles soient supportables, et par respect pour l’ancienne amitié, se persuader que l’injure est pour celui qui la fait, et non pour celui qui la souffre(21). La seule précaution, la seule garantie qu’il y ait contre de tels inconvénients et de tels malheurs, c’est de ne pas donner trop vite notre affection, et de ne point l’accorder à ceux qui en sont indignes.

Ceux-là méritent notre amitié qui ont en eux-mêmes les moyens de se faire aimer. De tels hommes sont rares, comme toutes les choses excellentes, et il n’est rien de plus difficile que de trouver un objet qui, dans son genre, soit parfait de tout point. Mais il est bien des gens qui ne voient rien de bon dans le monde que ce qui peut leur être avantageux ; et parmi leurs amis, comme parmi leurs bestiaux, ils distinguent et préfèrent ceux dont ils espèrent retirer les plus grands profits. Ainsi ils sont étrangers à cette amitié si naturelle et si noble, qu’on ne recherche que pour elle et à cause d’elle ; et ils ne sauraient éprouver par eux-mêmes quelle est la nature et la force d’une telle amitié. Chacun s’aime soi-même, non par l’espoir de quelque récompense, mais parce que l’amour de nous-mêmes est un senti-

  1. « Il n’y a jamais de rupture qui ne nous accuse ; c’est toujours la faute de l’un des deux ; on ne peut éviter la honte de s’être mépris, et d’avoir à se dédire. » Madame de Lambert.