Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montrer plus insensés que les aveugles, que de marcher seuls dans les ténèbres, plutôt qu’en compagnie et à la lumière du jour ? car c’est au souvenir et à l’imitation de ceux qui nous ont été proposés pour modèles par l’antiquité, que la suite de ce discours me ramène.

Je le répète donc comme une chose dont je ne pense pas qu’on puisse douter, que la mort ne saurait être mise au nombre des maux ; qu’elle doit au contraire être comptée parmi les plus grands biens : car, si elle nous retire d’un abîme de misères ; si elle nous introduit dans une meilleure vie ; si elle n’est ni fâcheuse par elle-même, ni susceptible d’aucune suite funeste, pourquoi serait-elle censée un mal ? Si, loin de là, elle nous met à portée de jouir des plus grands biens, et de changer une vie mortelle contre une éternelle vie, est-il rien qui puisse être plus heureux ? Aussi tenons-nous de l’histoire que les hommes les plus sages qui aient jamais été, non seulement n’ont été ni consternés ni fâchés de la mort des leurs, mais que très souvent ils s’en sont réjouis. Anaxagore(14) conférait sur la physique avec ses amis ; on vint lui annoncer que son fils était mort ; il ne répondit autre chose, sinon qu’il l’avait engendré mortel : belles paroles et vraiment dignes de sortir de la bouche d’un si grand homme ! Qu’aurait-il en effet pu répondre qui marquât plus de sagesse ou de fermeté ? Voudrait-on qu’il eût dit que cet enfant était mort bien jeune ? Mais c’eût été la réflexion d’un homme faible et peu préparé contre les adversités. Aimerait-on mieux qu’il eût témoigné n’être fâché de cette perte que pour l’amour de son fils ? Mais en cela il aurait reconnu qu’il ignorait à combien de maux ce fils avait échappé. Enfin, approuverait-on qu’il eût montré plus de sensibilité, en reconnaissant toutefois que cet évé-