Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
DE LA VIEILLESSE.

prétendait que la volupté devait être le but de toutes nos actions ; ils ajoutaient que M’. Curius et Tib. Coruncanius, entendant ce récit, faisaient des vœux pour que les Samnites et Pyrrhus lui-même fussent imbus d’une pareille doctrine, persuadés que plus ils seraient livrés aux plaisirs, plus il serait facile de les vaincre. Ce même Curius avait vécu avec P. Décius, qui s’était dévoué(18) pour la république dans son quatrième consulat, cinq ans avant celui de Curius. Fabricius et Coruncanius l’avaient aussi connu, et ils jugeaient tous, soit d’après l’expérience de leur vie entière, soit d’après ce noble dévouement, qu’il existait quelque chose de beau, de sublime par sa nature, qu’on aimait pour soi-même, et à quoi toute belle âme rendait hommage, en méprisant la volupté.

J’ai voulu prouver, en m’étendant sur ce point, que loin de faire aucun reproche à la vieillesse, on doit la louer, au contraire, de ne désirer passionnément aucune espèce de plaisir. Elle est privée des grands repas ; elle ne peut ni manger beaucoup, ni boire fréquemment : eh bien ! plus d’ivresse, plus d’indigestions, plus d’insomnies. Toutefois s’il faut donner quelque chose au plaisir, dont les attraits sont si puissants, et que le divin Platon nomme l’appât du mal [parce que les hommes s’y laissent prendre comme les poissons à l’hameçon], quoique les grands festins ne soient pas faits pour la vieillesse, elle peut néanmoins se plaire à de modestes repas. Je me souviens d’avoir vu souvent, dans mon enfance, revenir de souper le vieux C. Duillius, fils de M., qui gagna la première bataille navale contre les Carthaginois. Il prenait plaisir à se faire reconduire à la clarté des flambeaux et au son des flûtes, quoiqu’il n’y eût pas d’exemple de pareille chose pour