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DE LA VIEILLESSE.

donc, si je dois, après ma mort, ou n’être pas misérable, ou bien être heureux ? Quel est l’homme, quelque jeune qu’il soit, assez insensé pour assurer qu’il vivra jusqu’au soir ? Que dis-je ? les causes de mort sont plus nombreuses dans le jeune âge que dans le nôtre. Les maladies y sont plus fréquentes, plus aiguës, plus difficiles à traiter. C’est ce qui fait que peu d’hommes vieillissent. S’il y avait plus de vieillards, on vivrait mieux et plus sagement. Le bon sens, la raison, la prudence, appartiennent à la vieillesse : sans les vieillards, il n’y aurait jamais eu de cités. J’en reviens à la mort qui nous menace. Pourquoi en faire le crime de la vieillesse, si elle menace également les jeunes gens ? Ah, Scipion ! je n’ai que trop éprouvé, et dans la perte de mon excellent fils, et dans celle de vos frères destinés aux premières dignités, que la mort est commune à tous les âges.

Mais le jeune homme peut espérer de vivre long-temps, ce qui n’est pas permis au vieillard. C’est une espérance folle. Quelle illusion moins raisonnable que de compter sur l’incertain, et de prendre le faux pour le vrai ? Mais le vieillard n’a pas même de raisons d’espérer. Eh bien ! sa condition en est meilleure que celle du jeune homme, puisqu’il a déjà ce que celui-ci espère. L’un veut vivre long-temps, l’autre a long-temps vécu. Cependant, ô bons dieux ! qu’est-ce que c’est que long-temps dans la vie de l’homme ? Prenons la plus longue, celle du roi des Tartessiens (car j’ai lu quelque part qu’il exista à Gadès un certain Arganthonius, qui régna quatre-vingts ans, et en vécut cent vingt) ; pour moi, je ne vois pas une grande durée là où je vois une fin. Lorsqu’elle est venue cette fin, tout le passé est perdu pour jamais ; il ne reste que le fruit des vertus et des bonnes