Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/183

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leurs bien plus de force, si par l’emploi des arguments propres à traiter toute question de fait, vous donnons aux aveux obtenus un caractère de vraisemblance ; ce qu’il faudra faire également à l’égard des témoignages. Contre les tortures, nous dirons d’abord que nos ancêtres n’y ont eu recours que dans certaines causes où l’on pouvait reconnaître la vérité des réponses ou en réfuter l’imposture ; comme dans cette question : « En quel lieu cette chose se trouve-t-elle, » ou toute autre semblable qui se puisse vérifier par les yeux, ou se reconnaître à quelque analogie. Nous prétendrons ensuite qu’il ne faut pas s’en rapporter à la douleur, parce que tel homme y est moins accoutumé qu’un autre, qu’il est plus ingénieux à trouver un mensonge ; ou qu’enfin il peut souvent savoir ou soupçonner ce que le juge veut apprendre, et qu’il voit bien qu’en le disant il mettra fin à son supplice. Cette argumentation sera plus puissante si nous réfutons par des preuves irrécusables des dépositions faites au milieu des tourments, en employant, pour y réussir, les moyens que nous avons indiqués déjà pour les causes conjecturales. Les arguments, les signes et les autres lieux communs qui fortifient le soupçon, doivent être mis en usage de la façon suivante : Lorsqu’un grand nombre d’arguments et de signes se réunissent et s’accordent entre eux pour une chose, il en résulte forcément l’évidence et non pas le soupçon. Il y a plus ; ces signes, ces arguments méritent plus de confiance que des témoins ; car ils déposent des choses telles qu’elles ont eu lieu dans la réalité, tandis que des témoins peuvent être corrompus par l’argent, les faveurs, la crainte ou la haine. Pour combattre les arguments, les signes, et autres moyens semblables, nous ferons voir qu’il n’y a pas une seule chose qui ne puisse être attaquée par le soupçon ; nous atténuerons ensuite chaque soupçon en particulier ; nous nous efforcerons de montrer qu’ils s’appliquent aussi bien à toute autre affaire qu’à la nôtre ; et que c’est une indignité de se croire, en l’absence de témoignages, suffisamment éclairés par une conjecture et par un soupçon.

VIII. Si l’on veut tirer avantage des bruits publics, on dira qu’ils ne naissent pas au hasard et sans quelque fondement ; qu’il n’y a pas de raison pour que personne les ait inventés faussement ; nous soutiendrons, en outre, que s’il en est d’autres habituellement mensongers, celui dont il est question n’a rien que de vrai. Si l’on veut les repousser, on établira d’abord qu’il y en a beaucoup de faux, et l’on citera des exemples qui en prouvent l’imposture ; on pourra les attribuer à des ennemis, ou à des hommes naturellement malveillants et calomniateurs. On reproduira quelque fable inventée contre ses adversaires, et que l’on dira se trouver dans la bouche de tout le monde ; où bien un bruit véritable qui porte atteinte à leur honneur, et auquel on déclare ne pas ajouter foi ; par la raison que le premier venu peut être l’auteur d’un récit déshonorant, et répandre une calomnie. Toutefois si le bruit qu’on nous oppose offre un caractère véhémentement probable, on pourra, par la force du raisonnement, en détruire l’autorité.

C’est parce que la question conjecturale est la plus difficile à traiter, et la plus ordinaire dans les causes véritables, que j’ai mis plus de soin à en approfondir toutes les parties, afin que