Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/188

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Voyons d’abord ces moyens ; nous reviendrons ensuite à la déprécation. On examine d’abord, si c’est par sa faute que l’accusé en est venu à cette nécessité, ou bien si c’est la nécessité elle-même qui l’a rendu coupable ; ensuite, quel moyen il y avait de l’éviter ou de la rendre moins fâcheuse ; on demande si celui qui la donne pour excuse a tenté de faire ou d’imaginer quelque chose contre elle ; s’il n’y a pas quelques motifs du genre de ceux que peut fournir la question de fait, pour soupçonner la préméditation là où l’on accuse la nécessité. D’ailleurs la nécessité, quelque pressante qu’elle soit, doit-elle constituer une justification suffisante ? Si c’est par ignorance que l’accusé prétend avoir failli, on cherchera d’abord s’il pouvait ou non apprécier les suites de son action ; s’il s’est donné quelque soin pour les prévoir ; ensuite, si son ignorance est fortuite ou coupable. Car, celui qui rejetterait sur l’excès du vin, de l’amour ou de la colère l’absence de sa raison, aurait perdu le jugement par l’effet d’un vice et non par ignorance ; aussi son ignorance, loin de le justifier, le rend plus coupable encore. Ensuite, à l’aide de la question de fait, on recherchera s’il a su ou non ce qu’il faisait ; et l’on examinera si dans le cas d’un fait constant, l’ignorance peut constituer une excuse suffisante. Quand le défenseur se rejettera sur la fortune, en disant qu’elle doit faire pardonner à l’accusé ; il aura les mêmes considérations à faire valoir qu’en parlant de la nécessité. Il y a tant de rapports en effet entre ces trois sortes d’excuse, qu’on peut les traiter toutes par des moyens à peu près semblables. Voici les lieux communs qui conviennent à ce genre de causes : l’accusateur s’élèvera contre celui qui, après avoir fait l’aveu de son crime, veut arrêter les juges par de vaines paroles ; le défenseur, implorant l’humanité, la clémence, répondra qu’il faut en tout considérer l’intention ; et que là où il n’y a pas eu de dessein prémédité, il ne faut pas chercher de crime.

XVII. Nous nous servons de la déprécation, lorsqu’en convenant de notre faute sans l’attribuer ni à l’ignorance, ni à la fortune, ni à la nécessité, nous n’en demandons pas moins le pardon. Nous nous fonderons, pour l’obtenir, sur les considérations suivantes : les services du prévenu sont plus nombreux et plus grands que ses fautes ; il a du mérite ou de la naissance ; on doit espérer qu’il se rendra utile, s’il échappe au châtiment. Cet homme, aujourd’hui suppliant, s’est montré doux et miséricordieux quand il avait la puissance. S’il a commis une faute, ce n’est ni la haine ni la cruauté qui l’y ont poussé, mais son amour du devoir et son zèle ; dans une circonstance pareille, d’autres n’ont pas été punis ; il ne saurait y avoir aucun danger à le renvoyer à son tour : cet arrêt n’encourra le blâme ni de Rome ni des cités voisines. L’humanité, la fortune, la clémence, l’instabilité des choses humaines fournissent des lieux communs. L’accusateur y oppose les lieux communs contraires, en amplifiant, en énumérant les crimes de l’accusé. La déprécation ne peut s’employer devant les tribunaux, ainsi que je l’ai fait voir dans le premier livre ; mais comme on peut la présenter