Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/191

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exemple : « Tous ceux qui sont dans la pauvreté, aiment mieux en sortir par des moyens criminels que d’y rester honorablement. » Si un orateur expose ainsi son argumentation, sans songer quelle preuve et quelle confirmation de preuve il apportera, nous réfuterons aisément cette exposition en faisant voir qu’il est faux et injuste d’attribuer à tous les pauvres ce qui n’est vrai que d’un pauvre dépravé. L’exposition est vicieuse encore, lorsqu’on nie absolument l’existence d’une chose qui n’arrive que rarement ; par exemple : « Personne ne peut devenir amoureux d’un regard et en passant. » Car, comme il y a eu des hommes enflammés par un seul regard, et que l’orateur a nié que cela pût arriver à personne, peu importe que le fait soit rare, pourvu qu’il soit prouvé qu’il a existé, ou pu exister quelquefois.

XXI. L’exposition est défectueuse encore, lorsque avec la prétention de rassembler toutes les circonstances, on en omet une importante : par exemple Puisqu’il est constant qu’un homme a été tué, il faut nécessairement qu’il l’ait été « ou par des brigands, ou par des ennemis, ou par vous qu’il avait institué en partie son héritier. Or, on n’a jamais vu de brigands dans cet endroit : il n’avait point d’ennemis ; d’où il résulte que s’il n’est pas tombé sous les coups des brigands, puisqu’il n’en existait pas, ni de ses ennemis, puisqu’il n’en avait pas, c’est vous qui êtes le meurtrier. » On réfute une exposition semblable en faisant voir que d’autres encore, outre ceux que l’accusateur a nommés, ont pu commettre le crime. Ainsi, dans cet exemple, il a dit qu’il fallait nécessairement en accuser ou des brigands, ou des ennemis, ou notre client ; nous répondrons que le meurtre a pu être commis par les esclaves ou par les cohéritiers de l’accusé. L’énumération de l’accusateur, ainsi renversée, il nous restera pour la défense un champ plus vaste. Il faut donc éviter aussi dans l’exposition, quand nous paraîtrons vouloir y rassembler tous les points, d’en omettre un important. C’est encore un défaut dans cette partie que de présenter une fausse énumération, et de n’offrir qu’un petit nombre de cas, lorsqu’il yen a beaucoup plus : par exemple : « Il y a deux choses, juges, qui portent tous les hommes à mal faire, le luxe et l’avarice. » — « Et l’amour ? vous répondra-t-on ; et l’ambition ? la superstition ? la crainte de la mort ? le désir de régner ? et tant d’autres passions ? » L’énumération est fausse également lorsqu’elle ne comprend que peu de cas, et que nous l’étendons à un plus grand nombre ; par exemple : « Trois mobiles font agir tous les hommes : la crainte, le désir, l’altération de l’âme. » Il suffisait en effet, de dire la crainte et le désir ; car l’altération de l’âme se confond nécessairement avec l’une et l’autre.

XXII. L’exposition pèche encore lorsqu’elle est prise de trop loin ; par exemple : « La sottise est la mère de tous les maux, puisqu’elle engendre d’innombrables désirs. Or des désirs innombrables n’ont ni limite ni mesure. Ils produisent l’avarice, et l’avarice pousse l’homme à tous les excès. C’est donc l’avarice qui a conduit nos adversaires à se rendre coupables de cette action. » Il suffisait du dernier membre de cette phrase ; autrement on fait comme Ennius et les autres