Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/214

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dans un procès civil ou criminel, de ne paraître armé que de témoignages domestiques, et de n’avoir que son propre exemple à citer ? L’exemple, ainsi que le témoignage, est employé comme preuve. Il ne faut donc l’emprunter qu’à un auteur du plus grand mérite, dans la crainte que ce qui doit prouver le principe établi, n’ait, à son tour, besoin de preuve. Il faut, en effet, que ceux qui se donnent pour modèles, préfèrent leurs ouvrages à tous les autres, ou bien qu’ils ne reconnaissent pas que les meilleurs exemples sont ceux qu’on emprunte aux plus grands orateurs ou aux plus grands poètes. Se préférer à tous les autres, c’est le comble de l’arrogance ; donner à d’autres le premier rang, et ne pas croire que leurs exemples soient meilleurs que ceux que nous donnerions nous-mêmes, c’est là une préférence dont il est impossible de donner la raison.

II. Que devient donc l’autorité des anciens ? car c’est elle, à la fois, qui rend les choses plus vraisemblables, et donne aux hommes plus d’ardeur pour l’imitation ; elle excite leur ambition, aiguillonne leur génie, par l’espérance de pouvoir égaler le talent de Gracchus ou de Crassus, en les prenant pour modèles. Enfin, cela même exige un très grand art que de savoir, au milieu de cette variété de morceaux d’un mérite inégal, épars et confondus dans un si grand nombre de poètes et d’orateurs, faire un choix tellement habile, que chaque genre d’exemples corresponde à chaque précepte. Quand il ne faudrait que du travail pour y réussir, on mériterait néanmoins des éloges pour n’en pas avoir évité la fatigue : mais il est certain que ce choix ne peut être que le fruit d’une extrême habileté. Quel est en effet celui qui, salis posséder l’art à fond, pourrait, au milieu d’un amas si vaste et si confus d’écrits, reconnaître et distinguer ce nue l’art demande ? Le grand nombre, en lisant de bons discours ou de beaux poèmes, applaudit aux orateurs ou aux poètes, mais sans en comprendre la raison, parce qu’ils ne savent ni où se trouve ce qui les a charmés ni ce que c’est, ni comment leur impression a été produite. Mais celui qui se rend compte de tout cela ; qui choisit les passages les plus appropriés à son sujet, et fait rentrer dans chaque précepte ceux qui méritent le plus d’y trouver place, doit nécessairement être lui-même un grand artiste. C’est donc un très grand talent de savoir faire servir à l’art qu’on professe les exemples même des autres.

Ce langage nous impose plus par l’autorité de ceux qui le tiennent que par la solidité des arguments qu’il présente. Je crains, en effet, qu’il ne suffise à quelques lecteurs, pour se ranger au système que je combats, de voir que ceux qui le soutiennent sont les inventeurs de l’art, et que leur ancienneté les rend déjà assez respectables à tous. Mais si l’on se dérobe à cette influence, et si l’on veut ne comparer que les raisons données de part et d’autre, on reconnaîtra qu’il ne faut pas toujours céder à l’antiquité.

III. Et d’abord, examinons si ce reproche de vanité qu’ils nous opposent, n’est pas par trop puéril. Car, si la modestie consiste à se taire ou à ne rien écrire, pourquoi ont-ils eux-mêmes écrit ou parlé ? Et s’ils tirent de leur propre fonds quelque partie d’un ouvrage, pourquoi la modestie les empêche-t-elle de le composer en entier ? c’est ressembler à un homme qui, après être descendu dans la carrière olympique, et y avoir pris son rang pour la course, accuserait ensuite d’impudence ceux qui se seraient élancés dans l’arène, et, s’arrêtant lui-même à la barrière, se mettrait à raconter comment Ladas ou Boius, luttèrent à la course contre les Si-