Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/241

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ranti mes intérêts par des lois sages, de bonnes mœurs, d’excellentes institutions. Puis-je lui n témoigner assez de reconnaissance pour tant de bienfaits ? C’est parce que le sage se fait ce raisonnement, que souvent, dans les dangers de la république, j’ai affronté moi-même tous les périls. » On varie aussi la pensée par le ton de la phrase, en lui donnant la forme de l’interrogation, lorsque nous paraissons assez vivement émus nous-mêmes pour émouvoir les autres. Par exemple : « Quel est l’homme assez dépourvu de sentiments, dont l’âme soit assez rétrécie par l’envie, pour ne pas se faire un plaisir de combler d’éloges et de regarder comme le plus sage des hommes, celui qui, pour le salut de la patrie, pour la conservation des citoyens, pour les destinées publiques, s’expose courageusement aux plus grands dangers, et s’y précipite avec plaisir ? Quant à moi, je ne puis réussir à louer un tel homme autant que je le voudrais, et je suis sûr que vous ressentez tous la même impuissance. »

On peut donc dire la même chose de trois manières différentes ; l’expression, la prononciation, le tour de la phrase ; ce dernier sous la forme du dialogisme ou de l’interrogation. Mais quand on veut parler de la même chose, il y a d’autres moyens de varier le discours. Lorsque nous aurons exposé simplement notre pensée, nous pourrons l’appuyer d’une preuve ; puis, sans donner, ou en donnant de nouvelles raisons, prononcer une sentence, et la faire suivre des contraires (ce dont nous avons parlé dans les figures de mots). Nous emploierons ensuite la similitude et l’exemple, dont nous développerons les règles à leur tour ; et enfin la conclusion, sur laquelle nous avons donné, dans le second Livre, tous les détails nécessaires, en faisant voir comment il fallait conclure une argumentation. Nous avons dit dans ce Livre même de quelle nature est la figure de mots que l’on nomme la Conclusion.

XLIV. L’Exposition peut donc recevoir un grand ornement de la réunion des figures de mots et de pensées ; elle peut d’ailleurs avoir sept parties. Mais je ne sortirai pas de mon précédent exemple, afin de vous faire voir avec quelle facilité une idée simple se multiplie au moyen des préceptes de l’art, « Le sage ne reculera devant aucun danger pour le service de la république, parce qu’il est arrivé souvent que celui qui n’a pas voulu donner sa vie pour elle, a péri avec elle. Et puisque c’est de la patrie que nous avons reçu tous les biens que nous possédons, aucun sacrifice qui peut lui profiter ne doit nous paraître pénible. C’est donc une folie de fuir devant le danger auquel la patrie nous appelle, car on n’évite pas les maux qu’on a redoutés, et l’on fait preuve d’ingratitude. Mais ceux qui s’associent aux périls de la patrie, méritent le nom de sages ; ils rendent à la république l’hommage qu’ils lui doivent ; et aiment mieux mourir pour tous que de mourir avec tous. Ne serait-il pas souverainement injuste en effet, de rendre à la nature, qui vous l’arrache, cette vie qu’elle ne vous a donnée que pour la mettre au service de la patrie, et de la refuser n à la patrie, qui vous la demande ? Quand vous pouvez mourir pour la république, avec courage et avec gloire, vous aimeriez mieux devoir à votre lâcheté une vie ignominieuse ! Vous