Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/248

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riez être libres sans danger, vous n’en prenez aucun souci. » Cette figure, quoiqu’elle ne donne la parole qu’aux choses muettes et inanimées, n’en est pas moins d’un emploi très utile dans les différentes parties de l’amplification, et dans les morceaux où l’on veut exciter la pitié.

LIV. La Signification laisse plus à entendre qu’elle n’exprime réellement. On se sert alors d’une exagération, d’une ambiguïté, d’une conséquence, d’une réticence ou d’une similitude. D’une exagération, lorsqu’on va au delà de la vérité, pour donner de la force à un soupçon ; par exemple : « Cet homme ne s’est pas même, en si peu de temps, réservé d’un si grand patrimoine une tuile pour demander du feu. » D’une ambiguïté, lorsqu’une expression peut être prise en deux ou en plusieurs sens, mais ne l’est réellement que dans celui que l’orateur veut y donner ; par exemple, si l’on dit d’un homme qui a recueilli un grand nombre d’héritages : « Regardez, vous qui savez si bien voir[1] ». Autant il faut éviter les équivoques qui rendent le style obscur, autant il faut rechercher celles qui le rendent piquant. On en trouvera facilement, si l’on connaît et si l’on se représente les significations douteuses ou multiples d’un même mot. Cette figure se fait par conséquence, si, de ce que nous disons, on en conclut ce que nous ne disons pas : par exemple en s’adressant au fils d’un charcutier : « Taisez-vous, vous dont le père se mouchait avec le coude. » Elle se fait par réticence, quand on interrompt une phrase commencée, après en avoir dit assez pour laisser soupçonner le reste. Ainsi : « Lui, qui si beau et si jeune, a dernièrement, dans une maison étrangère…. Je ne veux pas en dire davantage. » Elle se fait par similitude, quand on cite un point de comparaison, sans y rien ajouter, mais de façon à ce que la pensée soit indiquée ; par exemple : « Gardez-vous, Saturninus, de mettre trop de confiance dans l’empressement du peuple. Les Gracques sont morts sans vengeance. » Cette figure a tour à tour beaucoup d’agrément et beaucoup de noblesse ; elle laisse à l’auditeur lui-même le soin de deviner ce que l’orateur ne dit pas. Le Laconisme n’emploie que les mots absolument nécessaires pour rendre la pensée. En voici des exemples : « Il prit Lemnos en passant ; laissa une garnison ensuite dans Thasos, puis détruisit une ville en Bithynie ; arrivé ensuite dans l’Hellespont, il s’empare aussitôt d’Abydos. - Tout à l’heure consul, autrefois tribun, il devint ensuite le premier citoyen de Rome. - Il part alors pour l’Asie ; on le déclare exilé comme ennemi publie ; plus tard, il est nommé général, et enfin créé consul. » Cette figure renferme beaucoup de choses en peu de mots. Il faut donc l’employer souvent, lorsque le sujet n’exige pas un long discours, ou que le temps ne permet pas de s’arrêter.

LV. La Démonstration est une figure qui exprime les choses d’une manière si sensible, qu’on croit les avoir sous les yeux. On produit cet effet en rassemblant tout ce qui a précédé, suivi, accompagné l’action, ou en ne s’écartant jamais des suites qu’elle a entraînées, des circonstances qui l’ont marquée ; par exemple : « Dès que Grac-

  1. Cernere, en terme de droit, se porter héritier