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VIE DE CICÉRON.

l’entour, et lut ce qui restait d’une antique inscription. Il venait de retrouver le tombeau d’Archimède. « Ainsi, disait-il, dans sa vieillesse, en rappelant cette découverte dont il était fier, ainsi une des plus célèbres villes du monde, et jadis une des plus savantes, ignorerait encore où sont les restes du plus grand de ses citoyens, si elle ne l’eût appris d’un étranger d’Arpinum. » Cet étranger consacra lui-même en Sicile un monument d’argent, sur lequel il ne fit, dit-on, écrire que ses deux premiers noms, Marcus Tullius ; ayant voulu, par une allusion un peu puérile à l’étymologie du nom de Cicéron, que le graveur y substituât un pois chiche.

Il avait repris ses études oratoires, au milieu de ce peuple ingénieux, le premier, suivant lui, qui ait fait un art de la parole, et tracé les règles de l’éloquence. Il lui laissa un souvenir de la sienne. De jeunes soldats étaient accusés d’indiscipline au tribunal du préteur ; il consentit à les défendre, et les fit acquitter.

Enfin, à l’expiration de son année, il adressa aux Lilythéens un discours où il leur promit son patronage à Rome ; et leur reconnaissance inventa pour lui des honneurs sans exemple.

Il partit extrêmement satisfait du succès de sa questure, et dans la flatteuse idée que Rome et l’Italie retentissaient du bruit de ses louanges. Pouzzoles était sur la route ; et la saison des bains y avait attiré une foule d’oisifs. L’un d’eux l’aborde en lui disant : Eh bien ! quelles nouvelles apportez-vous de Rome ? — Mais je reviens de ma province. — Ah ! vous revenez d’Afrique ? — Eh non vraiment ; mais de Sicile, « répond Cicéron d’un air dédaigneux et piqué. Alors, un autre qui faisait l’entendu : « Comment ! ne savez-vous pas, dit-il au premier, que Cicéron était questeur à Syracuse ? » Cicéron prit le parti de ne se plus fâcher ; et le questeur superbe à qui semblaient dus, selon ses expressions mêmes, les hommages de tout le peuple romain, se résigna d’assez bonne grâce à passer pour un de ceux que la mode avait amenés aux eaux.

Rome avait alors des sujets d’entretien un peu plus graves que la questure de Cicéron. La guerre venait d’être reprise pour la troisième fois contre Mithridate, vainqueur d’une armée consulaire. Spartacus appelait l’Italie aux armes. Les pirates insultaient sur toutes les mers à la puissance romaine, pillaient les villes, interceptaient les convois ; César était leur prisonnier. La lutte avait recommencé plus vive entre les consuls et les tribuns ; Verrès, préteur de la ville, y faisait de la justice un scandaleux trafic.

L’aventure de Pouzzoles fit réfléchir Cicéron, et, comme il l’avoue lui-même, lui servit plus que les éloges auxquels il s’attendait. Sans réprimer toutefois cette immense vanité, qui nuisit, dit Plutarque, à ses plus sages conseils, il donna à son ambition une direction nouvelle ; et tout ce qu’il médita pour sa gloire, il résolut de le faire désormais à Rome. « Bien convaincu, dit-il, que le peuple romain avait l’oreille dure, mais l’œil perçant, je cessai de courir après le bruit incertain d’une renommée lointaine, et je fis en sorte que mes concitoyens me vissent tous les jours, à toute heure ; je vécus sous leurs yeux, dans le forum, et ne souffris jamais que ni mon portier ni mon sommeil leur fermassent l’entrée de ma maison. » De ce jour, il employa, en les perfectionnant, quelques-uns des singuliers moyens alors en usage pour capter la faveur publique. C’est ainsi qu’il parvint à savoir le nom et la demeure des citoyens les plus distingués, le lieu et l’étendue de leurs possessions, qui ils avaient pour amis, qui pour voisins ; et, quelque partie de l’Italie qu’il traversât, il pouvait désigner chaque maison, chaque terre par le nom du maître. Ce n’était rien encore. Ceux qui aspiraient aux honneurs se faisaient accompagner partout d’un esclave nomenclateur, dont l’unique soin était de leur glisser à l’oreille le nom du moindre citoyen qui passait, et que le maître saluait aussitôt par son nom d’un air de connaissance. Cicéron ne voulut compter que sur sa mémoire, à l’exemple de Caton et de Pompée, qui se vantaient de pouvoir saluer de cette manière tout le peuple romain : mais quelque peine qu’il se fût donnée, il paraît, par plusieurs passages de ses lettres que, dans les circonstances importantes de sa vie publique, il eut toujours un nomenclateur à ses côtés.

Six ans après sa questure, Cicéron demanda l’édilité ; fonction qui le plaçait sous l’œil perçant des Romains, et lui promettait tous les avantages de la popularité, en le créant l’ordonnateur des fêtes, des jeux, des spectacles, offerts à la curiosité de la multitude. Il fut élu, distinction unique, par les suffrages unanimes des tribus. Dans le sénat, où l’avait fait entrer la questure, cette nouvelle charge lui faisait prendre rang après les consuls et les préteurs. Un privilége y était attaché, le droit d’images, lequel consistait à ajouter son portrait, dans le vestibule de sa maison, à ceux de ses ancêtres qui avaient passé par les dignités curules ; c’était la marque de la noblesse des familles. Cicéron, qui n’avait pas d’ancêtres, se consola de n’avoir pas d’images, par la pensée qu’il commençait lui-même l’anoblissement de sa maison. L’orgueil aristocratique avait un nom pour les plébéiens parvenus, celui d’homme nouveau ; il l’accepta, et s’en fit honneur.

Après son élection, des envoyés de la Sicile arrivèrent à Rome pour demander vengeance des crimes de Verrès, dernier preneur de cette province. Quoiqu’elle fût, depuis la prise de Syracuse, dans la clientelle des Marcellus, ce fut Cicéron qu’elle chargea d’accuser le coupable.

Il n’est plus possible, après ce grand homme, de