Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/284

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traiterons particulièrement de la question de conjecture. Il faut donc, dans la réfutation, démontrer que chacun de ces indices ne prouve rien ; qu’il est peu important, qu’il fait plus pour nous que pour nos adversaires, qu’il est absolument faux, ou même qu’il pourrait conduire à d’autres soupçons.

XLIV. Votre adversaire a-t-il établi une comparaison, il cherche entre deux faits ou deux causes des rapports que vous devez détruire pour le réfuter. Vous y réussirez en montrant des différences frappantes dans le genre et la nature, la force et la grandeur, le temps et le lieu, les personnes et l’opinion ; en appréciant, en remettant chacune à sa place des choses qu’on vous présente comme semblables. Faites ensuite ressortir les différences, et concluez que l’on doit juger bien différemment ces deux faits ou ces deux causes. Vous trouverez surtout l’occasion d’employer ces moyens, lorsque vous aurez à détruire quelque raisonnement fondé sur l’induction.

Si l’on vous oppose quelque jugement antérieur, comme on ne manque pas de le fortifier de l’éloge de ceux qui l’ont rendu, des rapports qui se trouvent entre les deux affaires, de ce que, loin d’être contredit, il a été généralement approuvé, enfin de son importance et des difficultés qu’il présentait, bien supérieures à celles qui se rencontrent dans l’affaire dont il s’agit, on ne peut l’infirmer que par des lieux contraires, si la vérité ou du moins la vraisemblance le permettent. Ayez soin surtout de prendre garde si par hasard le jugement cité n’offre aucun rapport avec votre affaire ; évitez enfin, avec la plus grande attention, de vous appesantir sur un jugement où les mêmes juge aient commis quelque faute ; car on pourrait croire que vous voulez juger les juges eux-mêmes. N’allez pas non plus, quand un grand nombre de jugements prononcent contre vous, en choisir un seul, et qui ne tombe que sur une espèce rare, pour l’opposer à vos adversaires ; car ce serait leur donner les armes plus fortes pour infirmer l’autorité de la chose jugée. Telle est la manière de répondre aux arguments qui établissent la probabilité.

XLV. Il n’est pas difficile de réfuter un argument qui n’a que la forme d’un raisonnement rigoureux, sans en avoir la justesse ; et voici comme il faut s’y prendre. Si le dilemme, qui vous presse également des deux côtés, est vrai, n’y répondez pas. Est-il faux, on le réfute de deux manières : par la rétorsion, ou en infirmant l’une des deux propositions. Exemple de la rétorsion :

S’il a de la pudeur, pourquoi accuser un homme de bien ? S’il porte un cœur inaccessible à la honte, pourquoi accuser un homme qui s’inquiétera peu de vos reproches ?

Ainsi, qu’on le suppose vertueux ou incapable de pudeur, on conclut qu’il ne faut pas l’accuser. Vous rétorquez l’argument en disant : « C’est au contraire une raison pour l’accuser ; car s’il conserve encore quelque pudeur, accusez-le : il ne méprisera point votre accusation. A-t-il perdu toute pudeur, accusez-le, puisqu’il n’est pas vertueux. » Vous pouvez encore infirmer l’une des deux propositions : « S’il a conservé quelque pudeur, l’accusation pourra le ramener n dans le sentier de la vertu. »