Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/291

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Le dixième, en rassemblant toutes les circonstances de l’action, et tout ce qui l’a suivie, fait ressortir, par l’indignation qu’excitent les moindres détails du fait, tout ce qu’ils ont de révoltant et de criminel, et par le tableau frappant qu’il met sous les yeux des juges, leur rend le crime aussi odieux que s’ils l’avaient vu commettre eux-mêmes. Dans le onzième, faites voir que le coupable devait moins qu’un autre commettre un pareil délit, qu’il était même de son devoir de l’empêcher, si un autre eût voulu le commettre. L’orateur, dans le douzième, s’indigne d’être la première victime d’un crime jusqu’alors inconnu. Le treizième lieu, en montrant que l’outrage se joint à l’injustice, rend odieux l’orgueil et l’arrogance du coupable. Par le quatorzième, l’orateur supplie ses auditeurs « de se mettre à sa place, de se supposer eux-mêmes victimes de l’injure dont il souffre, de penser à leurs enfants, s’il s’agit d’un enfant ; à leurs épouses, s’il s’agit d’une femme ; à leurs pères, à leurs parents, si c’est un vieillard qui a été outragé. Enfin il dira, dans le quinzième, que l’ennemi public ou particulier le plus implacable serait indigné de ce que nous avons souffert. Tels sont à peu près les lieux les plus propres à exciter l’indignation.

LV. Voici maintenant les lieux d’où l’on peut tirer la plainte, dont le but est de chercher à exciter la pitié de l’auditeur. Il faut donc l’attendrir d’abord, et le préparer à des émotions plus douces, si nous voulons le rendre sensible à nos plaintes. Pour y réussir, développez des lieux communs sur la puissance irrésistible de la fortune, et sur la faiblesse des mortels. Ces pensées, exprimées d’un style grave et sentencieux, font sur les esprits une impression profonde, et les disposent à la compassion. Le malheur d’autrui leur rappelle leur propre faiblesse.

Le premier lieu qu’on emploie pour exciter la commisération oppose notre prospérité passée à notre malheur présent. Le second, embrassant plusieurs époques différentes, montre de quels maux nous avons été, nous sommes et nous serons les victimes. Le troisième appuie sur chacune des circonstances qui aggravent votre malheur. Vous perdez un fils, et vous rappelez les plaisirs innocents de son âge, son amour, vos espérances, les consolations qu’il vous donnait, le soin de son éducation. Ce sont tous ces détails qui, dans une disgrâce quelconque, rendent votre malheur plus touchant. Le quatrième lieu fait connaître les affronts, les humiliations, les traitements déshonorants et indignes de notre âge, de notre naissance, de notre fortune, de nos honneurs passés, de nos bienfaits, que nous avons soufferts, ou dont nous sommes menacés. Le cinquième est le tableau de chacun de nos malheurs, tableau si vif et si animé, que l’auditeur semble les voir, et se laisser attendrir moins par le récit que par la vue de nos disgrâces. Le sixième montre que nous sommes tombés dans le malheur au moment où nous nous y attendions le moins, et que nous avons été précipités dans cet abîme de maux quand nous nous bercions d’un vain espoir de bonheur. Par le septième, l’orateur applique à l’auditeur sa propre infortune ; il le supplie de se rappeler, en le voyant, le souvenir de ses enfants, de ses parents, de ceux qui doivent lui être chers. Dans le huitième,