Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/293

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singulier de Zeuxis pour peindre les femmes ; et ils pensèrent que s’il voulait développer tous ses moyens et tout son talent, dans un genre où il excellait, il ne pouvait manquer d’enrichir leur temple d’un chef-d’œuvre.

Leur attente ne fut point trompée. D’abord Zeuxis demanda s’ils avaient de jeunes vierges remarquables par leur beauté. On le conduisit aussitôt au gymnase, où il vit, dans un grand nombre de jeunes gens, la figure la plus noble et les plus belles proportions : car il fut un temps où les Crotoniates se distinguèrent par leur vigueur, par l’élégance et la beauté de leurs formes, et remportèrent les victoires les plus éclatantes et les plus glorieuses dans les combats gymniques. Comme il admirait les grâces et la beauté de toute cette jeunesse : Nous avons leurs soeurs, vierges encore, lui dit-on ; ce que vous voyez peut vous donner une idée de leurs charmes. -- Que l’on me donne les plus belles pour modèles dans le tableau que je vous ai promis, s’écria l’artiste, et l’on trouvera dans une image muette toute la vérité de la nature.

Alors un décret du peuple rassembla dans un même lieu toutes les jeunes vierges, et donna au peintre la liberté de choisir parmi elles. Il en choisit cinq ; les poètes se sont empressés de nous transmettre les noms de celles qui obtinrent le prix de la beauté, au jugement d’un artiste qui devait savoir si bien l’apprécier. Zeuxis ne crut donc pas pouvoir trouver réunies dans une seule femme toutes les perfections qu’il voulait donner à son Hélène. En effet, la nature en aucun genre ne produit rien de parfait : elle semble craindre d’épuiser ses perfections en les prodiguant à un seul individu, et fait toujours acheter ses faveurs par quelque disgrâce.

II. Et nous aussi, dans le dessein que nous avons formé d’écrire sur l’éloquence, nous ne nous sommes point proposé un modèle unique, pour nous faire un devoir d’en calquer servilement tous les traits, mais nous avons réuni et rassemblé tous les écrivains, pour puiser dans leurs ouvrages ce qu’ils renferment de plus parfait, pour en prendre en quelque sorte la fleur. Car si, parmi les écrivains dont le nom mérite d’être conservé, il n’en est aucun qui n’offre quelque chose d’excellent, il n’en est aucun aussi qui nous semble réunir toutes les parties. Il nous a donc paru que ce serait une folie de rejeter ce qu’il y a de bon dans un écrivain, à cause de quelques défauts, ou de le suivre dans ses erreurs, quand nous avons reçu de lui d’utiles préceptes.

Que si l’on voulait suivre cette marche dans les autres arts ; si, au lieu de s’asservir opiniâtrement à un seul maître, on voulait prendre de chacun ce qu’il a de meilleur, on verrait parmi les hommes moins de présomption, moins d’entêtement dans leurs erreurs et moins d’ignorance. Si j’avais pour l’éloquence le même talent que Zeuxis pour la peinture, peut-être mon ouvrage serait-il dans son genre supérieur au chef-d’œuvre sorti de son pinceau ; car j’ai eu à choisir parmi un plus grand nombre de modèles. Il n’a pu choisir, lui, que parmi les vierges d’une seule ville, et parmi celles qui vivaient à cette époque ;