Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

se déborde avec tant de violence, qu’il fut impossible de faire passer les victimes. Le fournisseur, pour prouver sa bonne volonté, range toutes les victimes sur la rive, de manière qu’on pouvait les apercevoir de l’autre bord. Chacun était convaincu que le débordement du fleuve avait seul arrêté le zèle de cet homme : néanmoins on intente contre lui une accusation « capitale. » - On l’accuse « de n’avoir pas fourni les victimes qu’il devait pour le sacrifice. » Il se justifie par la concession, et sa raison est : « Le « débordement subit de l’Eurotas m’a empêché de les conduire à la ville. « On lui répond : « Vous n’en avez pas moins manqué à ce que prescrit la loi ; vous méritez donc d’être puni. » Voici le point à juger : « Le fournisseur a manqué à la loi ; mais le débordement du fleuve a seul arrêté son zèle : doit-il être puni ? »

XXXII. On allègue la nécessité, quand l’accusé montre qu’il n’a cédé qu’à l’ascendant d’une force irrésistible. « Une loi des Rhodiens ordonnait de faire vendre tout vaisseau armé d’un éperon qu’on trouverait dans leur port. Une tempête furieuse s’élève, et la violence du vent oblige un vaisseau de relâcher, malgré les efforts des matelots, dans le port de Rhodes. Le trésorier veut faire vendre ce vaisseau, comme appartenant au peuple. Le propriétaire s’oppose à la vente. » L’accusateur dit « qu’un vaisseau à éperon a été saisi dans le port. » L’accusé en convient, mais il répond « qu’il y a été poussé malgré lui par une nécessité insurmontable. » On le réfute en disant « qu’aux termes de la loi, le vaisseau n’en appartient pas moins au peuple. » Il s’agit de décider « si, lorsque la loi ordonne de vendre tout vaisseau armé d’un éperon qu’on saisira dans le port, un vaisseau que les vents y ont poussé, malgré l’équipage, doit être vendu. »

Nous avons réuni les exemples de ces trois genres, parce quels marche du raisonnement est la même pour chacun d’eux ; car, dans tous trois, l’accusateur doit, s’il est possible, employer les moyens de la question conjecturale pour faire soupçonner l’accusé de n’avoir pas fait sans intention une action qu’il prétend indépendante de sa volonté. Qu’il définisse ensuite la nécessité, le hasard ou l’ignorance ; qu’il appuie sa définition d’exemples frappants, fournis par l’un ou par l’autre de ces trois incidents ; qu’il les distingue bien du fait dont il s’agit ; qu’il montre la différence qui se trouve entre eux ; par exemple, l’affaire en question est bien moins importante, bien plus facile, et n’offre aucun prétexte d’ignorance, de hasard ou de nécessité. D’ailleurs il était facile de l’éviter ; il ne fallait que faire ou ne pas faire telle ou telle chose pour la prévoir et la prévenir ; et les définitions montreront qu’on ne doit point donner à une telle conduite les noms d’ignorance, de hasard ou de nécessité., mais l’appeler indolence, inattention et sottise.

Cette nécessité, qu’on allègue pour excuse, parait-elle entraîner quelque chose de honteux, prouvez alors, par un enchaînement de lieux communs, qu’il valait mieux tout souffrir, même la mort, que de se soumettre à une nécessité déshonorante. Établissez ensuite, d’après les lieux dont nous avons parlé dans la cause matérielle, la nature du droit et de l’équité ; et, comme dans la question juridiciaire absolue, considérez le fait isolément et en lui-même. C’est alors qu’il faut, si vous le pouvez, rassembler des exemples qui prouvent que de pareilles excuses n’ont point été