Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xv
VIE DE CICÉRON.

cause, ou prévenir l’effusion du sang par un exil volontaire ? Lucullus voulait qu’il engageât la lutte, et lui promettait la victoire. Hortensius, Caton et Atticus l’engagèrent à partir, alléguant qu’il ne tarderait pas à être rappelé par le peuple, fatigué bientôt des excès de Clodius. Soit faiblesse ou vertu, Cicéron se décida pour ce parti.

Avant son départ, il prit une petite statue de Minerve, depuis longtemps révérée dans sa famille comme une divinité tutélaire, la porta au Capitole, et l’y consacra sous cette inscription : Minerve protectrice de Rome ; comme pour marquer qu’après avoir employé à défendre la république toutes les mesures de la prudence humaine, il l’abandonnait à la protection des dieux. Il sortit de Rome, après cet acte de religion, escorté par ses amis, qui l’accompagnèrent pendant deux jours, et lui laissèrent ensuite continuer son chemin vers la Sicile, où il espérait que le souvenir de sa questure lui ferait trouver un asile sur et agréable.

Aussitôt après son départ, Clodius fit adopter par le peuple, ou plutôt par ce ramas de mercenaires qu’il avait à sa solde, une loi qui fixait l’exil de Cicéron à la distance de quatre cents milles, et qui menaçait de mort quiconque lui donnerait asile en deçà de cette limite, ou proposerait son rappel. Les maisons de l’exilé, à Rome et à la campagne, furent pillées, brûlées, démolies, et ses biens mis à l’encan. On les cria tous les jours sans qu’il se présentât d’acquéreur. Les seuls consuls eurent l’audace de se partager ses dépouilles. Les colonnes de marbre de sa belle maison du mont Palatin furent transportées publiquement chez le beau-père de Pison, et les riches ornements de sa villa de Tusculum, chez Gabinius, son voisin, qui s’en fit apporter jusqu’aux arbres. Sur l’emplacement de la maison de Rome, Clodius, afin d’en rendre la reconstruction impossible, fit élever un temple à la Liberté : « à la licence, » dit Cicéron.

Tandis qu’on livrait aux flammes et au pillage les biens de Cicéron, les consuls faisaient célébrer les réjouissances publiques, et se félicitaient mutuellement de cette victoire, qui vengeait glorieusement la mort de leurs anciens amis ; Gabinius se vantant de son intimité connue avec Catilina, et Pison, de sa parenté avec Céthégus. Clodius, de son côté, poursuivait de ses fureurs la famille de sa victime. Il tenta plusieurs fois de se saisir du jeune Cicéron, pour le tuer ; et cet enfant, âgé de six ans à peine, ne dut la vie qu’à la fidélité des amis de son père, qui le tinrent caché. Térentia avait cru trouver un asile inviolable dans le temple de Vesta ; mais elle en fut arrachée par l’ordre du tribun, et traînée en justice, comme coupable d’avoir soustrait quelques effets de son mari à la cupidité des partisans de Clodius.

Le respect universel qu’on avait pour Cicéron fit mépriser la défense du tribun. Les cités lui offraient à l’envi un asile et une garde. On l’escortait d’une ville à l’autre. Malgré des marques si éclatantes d’intérêt et d’affection, triste, abattu, « il tournait sans cesse vers l’Italie, nous dit Plutarque, ses yeux baignés de larmes. » Il était sans fermeté, sans courage. Il allait se plaignant à tout le monde et de tout le monde. Il accusait ses amis de l’avoir trahi ; il fuyait le commerce des hommes, et jusqu’à la lumière du jour ; et ses lettres étaient si lamentables, que le bruit courut à Rome que sa raison avait souffert quelque échec.

Il s’était dirigé vers la Sicile : Au moment d’y aborder, il reçut du préteur C. Virgilius, autrefois son ami, la défense d’y mettre le pied. Il retourna vers Brindes, dans le dessein de gagner la Grèce, et trouva dans la maison de campagne de Flaccus une généreuse hospitalité. Puis il s’embarqua pour Dyrrachium. Plutarque raconte que le vent, qui était favorable, changea tout à coup, et le força de regagner le rivage ; que s’étant rembarqué, il fut assailli, près de Dyrrachium, par un violent orage, suivi d’un tremblement de terre, et que les devins en conclurent que son exil ne serait pas long. Il voulait se rendre à Athènes. On l’en détourna, en lui apprenant que cette partie de la Grèce servait de refuge aux restes du parti de Catilina. Il gagna la Macédoine, avant qu’ils fussent informés de son arrivée. C. Plancius, alors questeur, à peine averti de son débarquement, vint au-devant de lui jusqu’à Dyrrachium, et le conduisit dans sa résidence de Thessalonique. L. Apuléius, gouverneur de cette province, qui ne lui était guère moins attaché que Plancius, n’osant pas agir aussi ouvertement, se fit du moins un devoir de fermer les yeux sur la conduite de son questeur.

Cicéron y apprit de Tubéron, qui revenait d’Asie, où il avait servi comme lieutenant sous Quintus, que les complices de Catilina en voulaient à sa vie. Il voulut quitter Thessalonique, et se retirer en Asie ; mais il en fut détourné par les instances de Plancius, et les lettres de ses amis de Rome, qui lui faisaient espérer que son exil finirait bientôt.

En effet, deux mois après son départ, le tribun Ninnius proposa son rappel dans une assemblée du sénat, et demanda que la loi de Clodius fût examinée. Tous les sénateurs applaudirent à cette proposition, que repoussa seul, le tribun Élius Ligus et décrétèrent que toutes les affaires seraient suspendues jusqu’à ce que le décret du bannissement fut révoqué.

Déjà Pompée commençait à se repentir d’avoir sacrifié Cicéron à la vengeance de Clodius, dont l’insolence, tournée maintenant contre lui, le bravait ouvertement dans Rome, et s’emportait jusqu’à menacer sa vie. Toutefois il ne voulait rien faire sans