Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xx
VIE DE CICÉRON.

Pompée le pria de le défendre. Cicéron hésita longtemps. César, de son côté, le lui demandait. Il se rendit ; mais il perdit sa cause devant Caton, juge inflexible. Après Gabinius, il se vit entraîné de même à défendre Rabirius Posthumus, complice des crimes reprochés à ce dernier. On le vit encore plaider, à cette époque, pour Cispius, pour Can. Gallus, pour Messius, un des lieutenants de César ; pour Drusus, et M. Æm. Scaurus, accusés, l’un d’avoir trahi une cause dont il s’était chargé, l’autre, d’avoir pillé la province de Sardaigne ; enfin pour Vatinius, qu’il défendit deux fois.

En le voyant défendre ainsi ses plus implacables ennemis, et, bien plus, de mauvais citoyens, un Vatinius, un Gabinius, les amis de Cicéron lui reprochaient sa faiblesse. Personne ne la déplorait plus que lui. On voit par ses lettres combien il rougissait de sa servitude, du rôle qu’on lui faisait jouer, et de n’être plus libre ni dans son amitié ni dans sa haine. Il enviait le sort de ceux qui pouvaient faire respecter leur indépendance, et s’écriait douloureusement :« Heureux Caton, à qui personne n’ose demander une bassesse ! »

À la fin de cette année (699), il consentit à servir de lieutenant à Pompée dans le gouvernement d’Espagne. Mais César, qui travaillait alors à les désunir, lui fit dire de rester, et il resta, pour surveiller, avec Oppius, les travaux d’un magnifique monument que César faisait construire à Rome avec les trésors qu’il devait à ses conquêtes. « Nous faisons une « chose bien glorieuse, » écrivait Cicéron à Atticus ; et peut-être faut-il l’entendre dans un sens ironique.

L’anarchie était au comble. L’élection des consuls qui devaient remplacer Pompée et Crassus était sans cesse ajournée, et il y eut un interrègne de six mois. Pendant ce temps, on parlait de la nécessité d’un dictateur ; on désignait Pompée ; Cicéron n’y était pas contraire ; mais le sénat et Caton s’y opposaient énergiquement, et Pompée dut renoncer à ses espérances. César ne le soutenait plus ; leur alliance était rompue ; Julie, fille de César et femme de Pompée, était morte, et Crassus venait de périr chez les Parthes.

La mort du jeune Crassus, tué avec son père, laissait une place vacante dans le collège des pontifes ; dignité très-recherchée, et dont on gardait toute la vie le titre et les privilèges. Cicéron se mit au nombre des candidats : il eut pour lui l’unanimité des suffrages.

Milon avait tué Clodius (701) ; il fut mis en jugement. Cette grande affaire, qui remplit les premiers mois de l’année, réveilla l’animosité des partis, et devint, pour les restes de la faction Clodienne, encouragée par trois tribuns, le signal de violences nouvelles. L’élection des consuls en devint presque impossible. Rome fut deux mois sans magistrats. On proposa encore la dictature de Pompée. Le sénat, pour éviter cette extrémité, le nomma seul consul, et lui confia, ainsi qu’à l’interroi Lépidus, la sûreté de la ville pendant la durée de ce procès.

Cette cause fut plaidée avec un appareil extraordinaire et devant une foule immense. Trois accusateurs s’étaient réunis contre Milon. Cicéron s’était seul chargé de sa défense. Pompée devait présider au jugement. Avant le jour, il avait investi le forum d’une longue file de soldats armés. Milon, craignant que les précautions inaccoutumées qu’il voyait prendre, et qui semblaient révéler de grands dangers, n’intimidassent son défenseur, lui avait persuadé de se faire porter, dès la veille, au forum, pour y attendre dans sa litière l’arrivée des juges. Le spectacle qui frappa ses yeux au sortir de sa litière, dit Plutarque, Pompée assis vers le haut du forum, le tribunal entouré de soldats, cet aspect d’un camp, ces armes qui resplendissaient de toutes parts autour de lui, lui causèrent un trouble que ne put dissiper Milon, dont on remarquait, au contraire, la contenance ferme et assurée, et qui n’avait pas même voulu laisser croître ses cheveux ni revêtir l’habit de deuil. Les accusateurs furent écoutés en silence : mais dès que Cicéron se leva pour leur répondre, les Clodiens poussèrent des cris furieux. Il se troubla de nouveau, et ne put revenir de cette première impression, qui lui fit perdre une partie de ses moyens, et affaiblit toute sa plaidoirie, laquelle dura trois heures. Milon fut condamné, et s’exila à Marseille, laissant à Rome des dettes si énormes (plus de 15 millions), que Pline regarde comme un prodige qu’un homme ait pu en contracter autant, quoiqu’elles fussent moindres d’un tiers que celles de César après sa préture.

Nous n’avons pas le plaidoyer que Cicéron prononça pour Milon, et qui existait au temps de Quintilien. Il écrivit à loisir celui qui nous reste, et qui passe pour un de ses chefs-d’œuvre. Il l’envoya à Milon, qui lui répondit : « Si vous aviez parlé ainsi, je ne mangerais pas à Marseille d’aussi excellent poisson. »

Pompée avait, pendant son troisième consulat, porté contre la brigue une loi, en vertu de laquelle les consuls et les préteurs ne pouvaient prétendre au gouvernement d’une province que cinq ans après l’expiration de leur charge. Pendant ces cinq premières années, les vacances devaient profiter aux sénateurs consulaires et prétoriens qui n’avaient jamais eu de gouvernement. Le sort, qui devait régler cette distribution, assigna à Cicéron, quand il pensait le moins à quitter Rome, la province de Cilicie, composée, outre ce pays, de la Pisidie, de la Pamphylie, et de l’île de Cypre ; on lui donnait à commander une armée romaine d’environ quinze mille hommes. Il partit (701). Il venait d’achever