Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/532

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C’est ce qui arrive souvent à des hommes qui ont plus de talent naturel que de connaissances acquises, et tel était Galba. Il parlait sous l’inspiration de son âme autant que de son génie. Une sensibilité brûlante, qu’il tenait de la nature, donnait à ses discours du mouvement, de la force, de la véhémence ; mais quand il prenait tranquillement la plume, et que la passion, comme un vent qui tombe, cessait d’animer son éloquence, le discours languissait ; ce qui n’arrive pas à ceux dont la manière est plus châtiée ; car l’orateur retrouve partout cette justesse de pensées au moyen de laquelle il peut écrire et parler avec la même perfection ; mais l’enthousiasme ne dure pas toujours, et lorsqu’il s’est refroidi, toute la vertu et tout le feu de l’orateur s’éteignent avec lui. Voilà pourquoi l’esprit de Lélius parait encore respirer dans ses écrits, tandis qu’il ne reste rien de l’énergie de Galba.

XXV. Les frères Lucius et Spurius Mummius eurent encore quelque talent oratoire. Nous avons leurs discours à tous deux. Lucius est simple et antique ; Spurius, sans être plus fleuri, a cependant un style plus serré : c’est qu’il sortait de l’école des stoïciens. Il existe beaucoup de discours de Sp. Albinus. Il en existe aussi des deux Aurélius Orestès, Lucius et Caïus, qui jouirent de quelque estime comme orateurs. P. Popillius, excellent citoyen, n’était pas non plus sans talent pour la parole : son fils Caïus en avait un véritable. C. Tuditanus, célèbre par la politesse de ses mœurs, et la recherche qu’il portait dans sa manière de vivre, ne fut pas moins renommé pour l’élégance de son langage. On peut lui comparer, en ce genre, un citoyen dont l’attachement au bien public ne se démentit jamais, M. Octavius, qui, outragé par le premier des Gracques, triompha de ce tribun à force de patience. Mais n’oublions pas Emilius Lépidus, surnommé Porcina, contemporain de Galba, quoique un peu plus jeune. Il passa pour un grand orateur, et ses discours prouvent qu’il fut au moins un bon écrivain. Il introduisit le premier, dans l’éloquence latine, la douceur et l’harmonie des périodes grecques, et toutes les savantes combinaisons du style. Il eut pour auditeurs assidus deux jeunes gens du plus grand talent, et presque du même âge, C. Carbon et Tib. Gracchus. Nous parlerons d’eux quand j’aurai dit quelques mots de ceux qui étaient plus âgés. Q. Pompéius ne laissa pas d’être estimé dans ce temps-là comme orateur. Il fut l’artisan de sa fortune ; et sans aïeux dont la gloire recommandât son nom, il s’éleva cependant aux plus hautes dignités. À la même époque, L. Cassius, sans être éloquent, exerça néanmoins l’autorité de la parole. Ce ne fut point, comme les autres, à des manières agréables et généreuses, mais à une sévérité austère, qu’il dut sa popularité. M. Antius Brison, tribun du peuple, secondé par le consul Lépidus, s’opposa longtemps à sa loi des scrutins. On fait même un reproche à Scipion l’Africain d’avoir usé de son ascendant sur Brison, pour le faire renoncer à son opposition. À la même époque aussi, les deux Cépions rendaient à leurs clients de grands services par le conseil et la plaidoirie, mais plus encore par leur crédit et leur influence. Quant à Pompéius, ses écrits existent : ils annoncent un jugement solide ; et, malgré leur vernis d’antiquité, ils n’ont pas trop de sécheresse.

XXVI. À peu près dans le même temps, P.