Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/564

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vaincue conservât sur nous, lui est enlevé, ou du moins nous le partageons maintenant avec elle. Oui, continua-t-il, je trouve ce glorieux témoignage de César préférable, je ne dis pas aux actions de grâces ordonnées en votre nom, mais aux triomphes de beaucoup de nos généraux. — Vous avez raison, Brutus, repris-je à mon tour, si cet éloge que me donne César est l’expression de son opinion et non de sa bienveillance. Car, sans doute, s’il est un homme qui non seulement ait enrichi l’éloquence romaine, mais qui le premier ait ouvert dans Rome les sources de l’éloquence, cet homme, quel qu’il soit, a fait plus d’honneur à sa patrie que les vainqueurs des places de la Ligurie, dont la conquête a donné lieu, comme vous savez, à beaucoup de triomphes. Et à dire vrai, si l’on excepte ces grandes inspirations du génie, par lesquelles des généraux ont plus d’une fois sauvé l’État menacé, soit au dedans, soit au dehors, un bon orateur l’emporte beaucoup sur un capitaine ordinaire. Mais les services d’un général sont plus utiles ! Qui le nie ? et cependant (je ne crains pas que vous m’accusiez d’abuser du droit que chacun de nous a de dire son opinion), j’aimerais mieux avoir fait le seul plaidoyer de Crassus pour M. Curius, que d’avoir triomphé deux fois pour la prise de quelques châteaux. Mais il importait plus à la république de voir un château des Liguriens conquis que la cause de Curius bien défendue Sans doute ; mais il importait plus aussi aux Athéniens d’avoir des maisons solidement couvertes, que d’avoir une belle statue de Minerve en ivoire ; et cependant j’aimerais mieux être Phidias, que l’ouvrier le plus habile à couvrir un toit. Ne jugeons donc pas les talents sur ce qu’ils rapportent, mais sur ce qu’ils valent, d’autant plus qu’il y aura toujours bien peu d’excellents peintres et de bons statuaires, tandis qu’on ne manquera jamais d’artisans et de manœuvres.

LXXIV. Mais continuez, Atticus, et achevez de payer votre dette. — Vous voyez, reprit-il, que la base et le fondement de l’éloquence est une diction correcte et vraiment latine ; mérite qui n’était point, chez ceux qui l’ont possédé jusqu’ici, le fruit de l’étude ni de l’art, mais l’effet spontané d’une bonne habitude. Je ne parle pas des Lélius et des Scipions ; dans cet heureux siècle, la langue était pure comme les mœurs. Ce n’est pas qu’il n’y eût des exceptions : Cécilius et Pacuvius, contemporains de ces grands hommes, parlaient mal ; mais en général tous ceux qui n’avaient point vécu hors de Rome, ou puisé dans les exemples domestiques des leçons de mauvais goût, s’exprimaient purement. Toutefois le temps a chez nous, comme dans la Grèce, altéré cette précieuse qualité. Rome, ainsi qu’Athènes, a vu affluer de toutes parts une multitude d’étrangers qui apportaient un langage barbare : nouveau motif pour épurer de plus en plus son style, et pour l’éprouver au creuset de l’immuable raison, sans s’en rapporter à l’usage, le plus mauvais de tous les guides. J’ai vu dans mon enfance T. Flamininus, qui fut consul avec Métellus. On estimait sa pureté ; mais il était sans lettres. Catulus, comme vous le disiez tout à l’heure, ne manquait nullement d’instruction ; cependant c’est au charme de sa voix et à la douceur de sa prononciation, qu’il dut la réputation de bien parler. Cotta, pour ne pas ressembler aux Grecs, donnait aux voyelles un son large et plein, et son accent tout opposé à celui