Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/715

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comme on veut. Mais quel homme peut conformer sa vie à ses volontés, si ce n’est celui qui suit le droit chemin, se complaît dans son devoir, et n’agit qu’avec maturité et prudence ; celui qui n’obéit pas aux lois par crainte, mais s’y attache et les respecte, parce que de tels sentiments lui paraissent les plus salutaires de tous ; qui ne dit rien, ne fait rien, ne pense rien, si ce n’est volontiers et librement ; dont tous les desseins et les actions ne viennent que de lui et tendent à la même fin ; près de qui rien n’a autant de crédit que sa propre volonté et son jugement ; à qui le cède enfin la fortune elle-même dont on dit que le pouvoir est souverain. Ainsi l’exprime une sage maxime du poète : Chacun se fait une fortune à sa guise. Le sage a donc seul le privilège de ne faire rien malgré lui, rien à regret, rien par contrainte. Et quoiqu’il faille pour le prouver un plus long discours, on doit cependant convenir en deux mots que celui-là seul est libre dont l’âme est ainsi disposée. Tous les méchants sont donc des esclaves. Et ce qu’il y a ici d’étrange et de paradoxal ce n’est pas tant la chose que le mot. Car on ne prétend pas qu’ils soient esclaves comme ceux qu’un maître achète, ou possède à quelque autre titre ; mais si la servitude est, comme elle l’est en effet, l’obéissance d’une âme énervée et abjecte, et qui ne jouit pas de son libre arbitre, qui pourrait nier que tous les hommes légers, tous ceux que conduisent leurs passions, tous les méchants en un mot soient des esclaves ?

II. Est-ce un homme libre, celui à qui commande une femme ? à qui elle dicte des lois, impose ses volontés, ordonne, défend ce qu’il lui plaît ? qui ne peut désobéir à aucun de ses commandements, et n’ose résister à aucun de ses caprices ? Elle demande ? il faut donner ; elle appelle ? il faut venir ; elle remue ? il faut s’éloigner ; elle menace ? il faut trembler. Pour moi, un tel homme n’est pas seulement un esclave, mais le plus vil de tous les esclaves, eût-il le plus illustre sang dans ses veines. Et de même que, dans une grande famille, il est certains esclaves, comme les intendants et les jardiniers, qui s’estiment fort au-dessus des autres, et n’en sont pas moins esclaves ; ainsi, et non moins fous, sont ceux qui mettent toutes leurs délices dans les statues, les tableaux, les ouvrages ciselés, les bronzes corinthiens, et les bâtiments magnifiques. Mais nous sommes, disent-ils, les chefs de l’État. Vous n’êtes pas même les chefs de vos compagnons d’esclavage. Et de même que dans une maison ceux à qui le soin de ces objets est confié, qui essuient, parfument, nettoient, arrosent, ne tiennent pas le premier rang parmi les esclaves ; ainsi, dans la société, ceux qui se livrent sans partage à des goûts de cette espèce, sont descendus presque au dernier degré de l’esclavage. — J’ai fait de grandes guerres, me diras-tu ; j’ai eu de grandes charges et de beaux commandements. — Gouverne donc honorablement ton âme. Te voilà sottement en extase devant un tableau d’Echion, ou une statue de Polyclète. Je ne veux pas rechercher de quelles sources ils te viennent, ni où tu les as enlevés. Lorsque je te vois ébahi, ravi d’admiration, jetant les hauts cris, je te tiens pour l’esclave de toutes ces bagatelles. — Est-ce que ce ne sont pas là des objets charmants ? — D’accord ; nous aussi n’avons pas l’œil d’un barbare. Mais, au nom du ciel, que