Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/184

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qu’elle ne vînt tous les cinq ans juger nos mœurs. Voilà, bourreau, voilà ce qu’on a vu enseveli dans l’abîme de ton consulat. Passons maintenant aux jours qui ont suivi ces funérailles. Cet homme, qui ne sut jamais rougir des plus honteux excès, des plus infâmes complaisances, faisait une levée d’esclaves devant le tribunal Aurélius : et toi, je ne dis pas que tu fermais les yeux sur son audace, faiblesse qui déjà serait criminelle ; je dis plus, tu le regardais agir d’un air plus gai que jamais. Oui, perfide profanateur des temples, des armes étaient placées sous tes yeux dans le temple de Castor par un brigand, pour qui ce temple devint la forteresse des citoyens pervers, le réfuge des vieux soldats de Catilina, le retranchement des bandits du forum, le tombeau des lois et de tout ce qu’il y a de sacré. Le sénat, les chevaliers romains, toute la ville, toute l’Italie, remplissaient non seulement ma maison, mais tout le mont Palatin ; et toi (ce sont ici des faits publics et notoires que je rappelle, et non des désordres domestiques qui peuvent être niés), toi seul, loin de songer à pénétrer jusqu’à ce Cicéron, que tu avais chargé avant tout de veiller aux suffrages dans les comices où tu fus nommé consul, et le troisième dans le sénat de qui tu demandais l’avis, tu as assisté à tous les conseils tenus pour ma perte ; que dis-je ? tu y as présidé avec la plus affreuse barbarie.

[6] VI. Mais que n’as-tu pas osé me dire à moi-même, en présence de mon gendre, ton parent ? Gabinius, assurais-tu, était dans l’indigence, accablé de dettes ; il ne pouvait subsister sans une province ; il espérait tout du tribun si tu agissais de concert avec lui ; il n’attendait rien du sénat ; tu te prêtais, disais-tu, à ses désirs, comme je l’avais fait pour mon collègue ; il m’était inutile d’implorer le secours des consuls ; chacun devait songer à soi. Mais voici ce que j’ose dire à peine ; je crains que plusieurs ne soient pas encore pleinement convaincus de ces grossières débauches, qu’il couvre du masque d’un front sévère ; je le dirai cependant : il se reconnaîtra du moins lui-même, et se rappellera avec quelque honte ses infamies. Te souviens-tu, âme de boue, que le jour où j’allai te trouver un peu avant midi, avec Caïus Pison, tu sortais alors de je ne sais quelle taverne, la tête couverte et en sandales ; que nous ayant exhalé les vapeurs infectes et de ta bouche et de ton estomac, tu t’excusas sur une indisposition qui t’obligeait, disais-tu, de te purger avec des remèdes où il entrait du vin ? Après avoir reçu cette excuse, car enfin que pouvions-nous faire ? nous restâmes quelque temps exposés à l’odeur et aux fumées de ta crapule, jusqu’à ce que l’insolence de tes réponses, autant que les exhalaisons de ton intempérance, nous forçassent de quitter la place. Deux jours après, ce tribun à qui tu livrais ton consulat de plain-pied, t’ayant amené dans l’assemblée du peuple, et demandé ce que tu pensais de mon consulat, en homme grave, comme un Attilius Calatinus, je crois, comme un Scipion l’Africain ou un Fabius Maximus, et non comme un Calventius Césoninus, demi-plaisantin, tu lui répondis, élevant, jusqu’au front l’un de tes sourcils et rabaissant l’autre jusqu’au menton, que la cruauté ne pouvait te plaire. Cette parole ne manqua pas d’être louée par un homme bien digne de tes éloges.