Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/186

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bits ordinaires. Quel tyran, dans les contrées les plus sauvages, a interdit les larmes à ceux qu’il forçait de pleurer ? Tu laisses subsister la cause de la tristesse, et tu en supprimes les marques ! C’est en menaçant, et non en consolant, que tu veux sécher les pleurs ! Quand les sénateurs auraient pris les habits de deuil, non par une délibération publique, mais par des considérations particulières, ou par un simple mouvement de pitié, leur en interdire la liberté par tes ordonnances cruelles, c’eût été une odieuse tyrannie : mais lorsque le sénat en corps l’avait arrêté, lorsque les autres ordres l’avaient déjà fait, toi, consul, sorti de l’obscurité d’une taverne, de concert avec cette danseuse si bien parée, tu as défendu au sénat romain de pleurer la ruine et le renversement de la république !

[9] IX. Dernièrement il demandait encore, à mon sujet, quel besoin j’avais eu de son secours ; pourquoi je n’avais pas résisté à mes ennemis avec mes propres ressources : comme si moi, qui ai secouru plus d’une fois les autres, comme si quelqu’un pouvait être assez dépourvu d’appui pour se croire et plus en sûreté avec un pareil défenseur, et plus en état de paraître avec un tel protecteur, avec un semblable garant ! Je voulais sans doute, moi, m’aider des conseils ou m’appuyer des forces d’un animal dégoûtant et stupide ! j’avais des secours ou de la gloire à attendre de ce cadavre abandonné ! Je cherchais alors un consul, oui, un consul, non pas tel que je ne pouvais le trouver dans une brute, non pas un magistrat suprême, qui, par sa prudence et sa fermeté, pût défendre la cause de l’État, mais un homme qui pût du moins, comme une souche et un tronc, rester debout et porter l’enseigne du consulat. Eu effet, toute ma cause étant celle et d’un consul et du sénat, j’aurais eu besoin du secours et du sénat et d’un consul. L’un de ces secours, toi et ton collègue vous l’avez tourné contre moi, et vous avez enlevé l’autre à la république. Cependant veux-tu savoir quel était mon dessein en quittant Rome ? Je ne l’aurais jamais quittée, et la patrie m’aurait retenu dans ses bras, si je n’avais eu à combattre qu’avec cet infâme gladiateur, avec toi et avec Gabinius. Ma cause était bien différente de celle de Q. Métellus, cet illustre citoyen, qui, selon moi, mérite d’être associé au culte des immortels. Il crut devoir céder à C. Marius, ce vaillant homme, consul pour la sixième fois ; il craignait d’en venir aux mains avec ses invincibles légions. Quel combat semblable aurais-je donc eu à soutenir ? aurais-je eu à me mesurer avec un Marius, ou avec quelqu’un de son caractère ; ou plutôt, d’une part, avec un grossier épicurien, et, de l’autre, avec un vil ministre de Catilina ? Je n’ai craint sans doute ni l’épaisseur de tes sourcils, ni les cymbales et les tambourins de ton digne compagnon. Après avoir gouverné le vaisseau de la république, l’avoir conduit heureusement au port malgré la violence des vents et des flots, je n’étais point assez timide pour redouter le nuage dont tu chargeais ton front, ni le souffle empesté de ton collègue. Je voyais souffler bien d’autres vents, je prévoyais bien d’autres orages, bien d’autres tempêtes, auxquels je me suis, non pas dérobé, mais exposé seul pour le salut de tous. Aussi, à mon départ, on vit tomber de mille mains cruelles tous les poignards homicides. Toi cependant, aussi