Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/207

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dement des armées. Albucius, après avoir triomphé dans la Sardaigne, fut condamné à Rome. Pison, qui s’attendait à un sort pareil, éleva des trophées dans la Macédoine ; et lorsque toutes les nations ont voulu que les trophées fussent des monuments et des témoignages de victoires et d’exploits guerriers, il en a fait, l’étrange « imperator » ! à la honte immortelle de sa race et de son nom, les funestes marques de villes perdues, de légions défaites, d’une province laissée sans défense et privée de ses derniers soutiens ; et afin qu’il y eût quelque chose à graver sur la base des trophées, arrivé à Dyrrhaehium au sortir de sa province, il fut investi par les soldats qu’il disait dernièrement à Torquatus avoir licenciés pour récompense de leur courage. Après leur avoir promis avec serment de leur payer le lendemain tout ce qui leur était dû, il alla se renfermer chez lui. Au milieu de la nuit, chaussé de sandales et en habit d’esclave, il s’embarque, évite le port de Brindes, et va jusqu’aux extrémités de la mer Adriatique. Cependant, à Dyrrhachium, les soldats recommencent à investir la maison où ils le croyaient encore, où ils s’imaginaient qu’il était caché, et ils veulent y mettre le feu. Saisis de crainte, les habitants leur apprennent que l’ « imperator » s’est enfui la nuit, déguisé en esclave. Les soldats se jettent sur sa statue, parfaitement ressemblante, et qu’il avait fait ériger dans le lieu le plus fréquenté de la ville, pour ne point laisser périr la mémoire d’un homme aussi aimable ; ils la précipitent de sa base, la renversent, la brisent, et en dispersent les débris ; déchargeant ainsi sur sa statue la haine qu’ils portaient à sa personne. Ainsi, Pison, je ne doute pas que, me voyant informé de tes principales iniquités, tu ne me supposes pas moins bien instruit des moindres détails de tes infamies. Il n’est pas besoin que tu me sollicites, que tu me presses de t’accuser; il suffit de m’en avertir:or nul ne m’en avertira que la république même ; et le temps, à ce qu’il me semble, en est plus proche que tu ne l’as cru jusqu’à présent.

[39] XXXIX. Ne vois-tu pas, si la nouvelle loi pour la composition des tribunaux est une fois reçue, quels juges nous aurons par la suite ? Il ne sera point libre d’être nommé, ou de ne l’être pas, comme on voudra. Le hasard ne mettra personne dans ces compagnies nouvelles ; le hasard n’en ôtera personne. L’intrigue n’y trouvera point place pour acquérir du crédit, ni la perversité pour se couvrir d’un beau nom. Ceux-là jugeront que la loi même, et non la passion des hommes, aura choisis. Ainsi, crois-moi, n’affecte pas de demander un accusateur; l’occasion et le bien public éloigneront ou engageront, soit moi-même, ce que je ne voudrais point, soit quelque autre. Pour moi, comme je l’ai dit, je ne regarde pas, ainsi que la plupart, comme de vrais supplices parmi les hommes, les condamnations, l’exil, la mort : il me semble qu’on ne doit nullement regarder comme une punition ce qui peut arriver à un homme innocent, à un homme courageux, à un homme sage, à un homme de bien, à un bon citoyen. La condamnation que l’on demande contre toi, P. Rutilius l’a subie, Rutilius, ce modèle de la vertu romaine. Les juges, selon moi, et la république ont été plus punis que lui-même. L. Opimius fut chassé de sa patrie, lui qui