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CICÉRON.

cette nouvelle, nous décidâmes qu’il ne fallait mettre aucun retard à voir un homme avec qui nous étions liés par la communauté de nos études et par une vieille amitié. Sur-le-champ, nous nous mîmes en route pour le joindre ; nous étions encore à quelque distance de sa villa, lorsque nous le vîmes qui venait à nous ; nous lui donnâmes le baiser d’amis, et le reconduisîmes chez lui. Il nous restait à faire un chemin assez long. Je demandai d’abord à Varron s’il y avait à Rome quelque chose de nouveau ; mais bientôt Atticus nous interrompit : Laissez là, me dit-il, je vous en conjure, un sujet sur lequel on ne peut rien demander et rien apprendre sans douleur ; et que Varron vous dise plutôt ce qu’il y a de nouveau chez lui. Les muses de notre ami gardent un silence plus long que de coutume ; et pourtant, à ce que je crois, il n’a pas cessé d’écrire ; mais il nous cache ce qu’il fait. — Point du tout, dit Varron ; ce serait, selon moi, une folie que de faire des livres pour les cacher. Mais j’ai un grand ouvrage sur le métier ; il y a déjà longtemps que j’ai mis le nom de cet ami (c’est de moi qu’il parlait) en tête d’un travail assez considérable, et que je tiens à exécuter avec le plus grand soin. — Il y a longtemps aussi, lui dis-je, que j’attends cet ouvrage, et cependant je n’ose pas le réclamer ; car j’ai appris de notre ami Libon, dont vous connaissez le zèle pour les lettres (ce sont là des choses qu’on ne peut cacher), que vous n’interrompez pas un seul moment ce travail, que vous y employez tous vos soins, et que jamais il ne quitte vos mains. Mais il est une demande que jusqu’ici je n’avais jamais songé à vous faire, et que je vous ferai, maintenant que j’ai entrepris d’élever quelque monument à ces études qui m’ont été communes avec vous, et d’introduire dans notre littérature latine cette ancienne philosophie, fille de Socrate. Pourquoi, dites-moi, vous qui écrivez sur tant de sujets, ne traitez-vous pas celui-là, surtout lorsque vous y excellez, et que ce genre d’études et la philosophie entière l’emportent tellement sur toutes les autres études et occupations de l’esprit ?

II. Vous me parlez là, dit Varron, d’une chose sur laquelle j’ai souvent délibéré, et que j’ai fort agitée en moi-même. C’est pourquoi je répondrai sans hésitation ; mais je dirai sans recherche ce qui me viendra à l’esprit, parce que, je le répète, c’est une question à laquelle j’ai beaucoup réfléchi. Voyant que la philosophie était parfaitement traitée par les écrivains grecs, j’ai pensé que si quelques-uns de nos compatriotes avaient du goût pour elle, ou ils connaîtraient la langue et la littérature grecques, et aimeraient mieux lire les ouvrages originaux que les nôtres ; ou ils éprouveraient de la répugnance pour les arts et l’esprit de la Grèce, et ne trouveraient aucun intérêt à des livres que l’on ne pourrait comprendre sans avoir une certaine érudition grecque. Je n’ai donc pas voulu écrire ce que les ignorants ne pourraient comprendre, et ce que les doctes ne voudraient pas lire. Vous le voyez vous-même ; car vous savez que nous ne pouvons ressembler à ces Amafinius, à ces Rabirius, qui, sans aucun art, dissertent sur toutes choses en style vulgaire, n’emploient ni définitions ni divisions, argumentent sans aucune rigueur, et croient enfin que l’art de la parole et celui du raisonnement sont de pures chimères. Pour nous, qui obéissons aux préceptes des dialecticiens et des orateurs comme à des lois (car les nôtres tiennent que c’est une obligation