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CICÉRON.

complet et achevé, et abandonnèrent le doute universel de Socrate, et son habitude de discuter sur tout sans rien affirmer. Il y eut alors ce que Socrate désapprouvait entièrement, une science philosophique, avec des divisions régulières et tout un appareil méthodique. Cette philosophie, comme je l’ai dit, sous une double dénomination, était une ; car, entre la doctrine des péripatéticiens et l’ancienne Académie, il n’y avait aucune différence. Aristote l’emportait, à mon sens, par la richesse de son génie ; mais les uns et les autres avaient les mêmes principes, et jugeaient pareillement des biens et des maux.

V. Mais à quoi donc mon esprit pense-t-il ? n’est-ce pas une folie que de vous apprendre ces choses ? Car si l’on ne peut pas précisément me dire ici que je suis l’animal proverbial qui en remontre à Minerve, cependant c’est toujours une sottise que de lui faire la leçon. — Continuez, Varron, lui dit Atticus ; j’aime beaucoup tout ce qui est romain, hommes et choses, et j’ai grand plaisir à entendre cette philosophie parler latin et le parler de cette façon. — Et moi, dis-je à mon tour, qui ai pris l’engagement de faire connaître la philosophie à mes compatriotes, que pensez-vous que j’éprouve ? — Poursuivons donc, puisque vous le voulez, reprit Varron.

C’est à Platon que remonte la division de la philosophie en trois parties, dont l’une traite de la vie et des mœurs ; la seconde, de la nature et de ses mystères ; la troisième, du raisonnement, de l’art de distinguer le vrai et le faux, de discerner ce qui est bien ou mal dans le discours, de saisir la conséquence ou la contradiction dans le jugement. Relativement aux mœurs, la doctrine de cette école était de prendre pour règle la nature, et de lui obéir ; on y établissait qu’il ne fallait chercher nulle part ailleurs que dans la nature ce souverain bien auquel tous les autres se rapportent, et que le comble de la fortune et le dernier terme de tous les biens, était d’avoir reçu de la nature tous les trésors de l’âme, du corps et de la vie. Les biens du corps étaient, selon ces philosophes, les uns généraux, les autres particuliers. Parmi les premiers, ils comptaient la santé, les forces, la beauté ; parmi les seconds, l’intégrité des sens et une certaine excellence propre à chacun de ses membres ou de ses organes, telle que la vitesse des pieds, la vigueur des mains, la clarté de la voix, et, pour la langue elle-même, l’articulation distincte des sons. Ils appelaient biens de l’âme ceux qui étaient capables de graver en nous la vertu ; de ces biens les uns étaient naturels, les autres constituaient les mœurs. Ils regardaient la facilité d’apprendre et la mémoire comme des dons naturels, tous deux propres à l’intelligence. Ils pensaient, au contraire, que les mœurs étaient le fruit de nos efforts, et reposaient en quelque sorte sur une habitude que l’exercice et la raison concouraient à former. Un de ces derniers biens était la philosophie elle-même. Ce qu’il y a d’ébauché et d’inachevé en elle est appelé un acheminement à la vertu ; ce qu’il y a d’achevé, c’est-à-dire, la vertu, est regardé comme la perfection de notre nature, et de tous les biens de l’âme le plus excellent. Voilà ce qu’ils disaient de ces biens. Quant au troisième genre de biens, ceux de la vie, ils les considéraient comme des accessoires utiles à l’exercice de la vertu ; car souvent la vertu brille en de certaines actions qui ont moins leur condition dans la nature que dans quelques accessoires