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Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/96

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CICÉRON.

frappées, et auraient le même sentiment toutes à la fois. D’ailleurs, si l’on a prétendu que cet esprit fut une sorte d’animal, il lui faut donc un principe intérieur, qui fonde sa dénomination d’animal. Et qu’y a-t-il de plus intérieur que l’esprit ? il reste donc à le revêtir d’un corps. Et c’est ce que ce philosophe ne voulait point. Or il me paraît que notre intelligence ne va pas jusqu’à pouvoir se former quelque notion d’un simple et pur esprit, auquel vous ne joignez rien qui le rende capable de sentiment. Alcméon de Crotone reconnaît une âme divine, et de plus il érige en Dieux le soleil, la lune, et les autres astres. C’est nous donner pour immortels des êtres mortels. Pythagore croit que Dieu est une âme répandue dans tous les êtres de la nature, et dont les âmes humaines sont tirées. Si cela était, Dieu serait déchiré et mis en pièces, quand ces âmes s’en détachent. Il souffrirait, et un Dieu n’est point capable de souffrir : il souffrirait, dis-je, dans une partie de lui-même, quand elles souffrent, comme il leur arrive à la plupart. Pourquoi, d’ailleurs, l’esprit de l’homme ignorerait-il quelque chose, s’il était Dieu ? Enfin, si ce Dieu n’était absolument qu’une âme, de quelle manière s’unirait-il au monde ? Xénophane dit que Dieu est un tout infini, et il y ajoute une intelligence. Quant à cette intelligence, c’est une erreur qui lui est commune avec d’autres : mais il est plus blâmable encore de prétendre que l’infini soit capable de sentiment, et que rien puisse y être joint. Parménide s’est figuré je ne sais quoi de semblable à une couronne ; un cercle tout lumineux et non interrompu, qui environne le ciel. Voilà ce qu’il appelle Dieu. Où prend-il dans ce cercle la figure divine, et quelle apparence qu’il y ait du sentiment ? Autres visions : il divinise la guerre, la discorde, la cupidité, mille choses semblables, qui, bien loin d’être immortelles, sont détruites par la maladie, par le sommeil, par l’oubli, par le temps seul. Je n’ajoute pas qu’il fait aussi le même honneur aux astres, pour ne point répéter ce que j’ai dit sur cette opinion, il n’y a qu’un moment.

XII. Empédocle, auteur peu exact sur bien d’autres matières, se trompe lourdement sur ce qui regarde les Dieux. Car les quatre éléments, dont il veut que tout soit composé, et qui ne sont visiblement que des mixtes insensibles et périssables, il les croit divins. Protagore ne paraît avoir nulle idée des Dieux, puisqu’il déclare ouvertement qu’il ne sait pas trop bien s’il y en a, ou s’il n’y en a pas, ni ce que c’est. Démocrite (quel égarement) donne la qualité de Dieux, et aux images des objets qui nous frappent ; et à la nature qui fournit, qui envoie ces images ; et aux idées, dont elles nous remplissent l’esprit. Qu’après cela il assure que rien n’est éternel, parce que rien ne demeure toujours dans un même état : n’est-ce pas renverser d’un seul coup l’existence des Dieux, et toutes les opinions qui rétablissent ? L’air est le Dieu que Diogène d’Apollonie reconnaît. Et quel sentiment l’air peut-il avoir ? quelle forme convenable à un Dieu ? Pour exposer toutes les variations de Platon, il faudrait un long discours. Dans le Timée, il dit que le père de ce monde ne saurait être nommé : et dans les livres des Lois, qu’il ne faut pas être curieux de savoir ce que c’est proprement que Dieu. Quand il prétend que Dieu est incorporel,