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MADAME ROLAND

Le gardien en est fort aise. Il ne sait que faire de tout ce monde qu’on lui envoie depuis quelque emps. À la place de Mme Roland, il va pouvoir mettre Brissot qui a été arrêté la veille, à Moulins, sur le chemin de la Suisse, et il presse le départ de cette étrange prisonnière qui a trouvé moyen de vivre à l’Abbaye, si souriante entre ses livres et ses fleurs que, dit-il, il appellera désormais sa cellule, le Pavillon de Flore[1].

Mme Roland est libre. Ses préparatifs ne sont pas longs. Justement sa bonne Fleury vient d’arriver pour la voir. Elle saute en fiacre et, bientôt, sans doute grisée par le grand air, elle débarque devant sa porte. Mais elle n’avait pas plus tôt crié bonjour au portier et monté quatre marches, que deux hommes surgissaient de l’ombre en disant : « Citoyenne Roland, de par la loi, nous vous arrêtons. »

Sa mise en liberté n’était qu’une farce dérisoire imaginée par la Commune pour mettre en règle les pièces d’une arrestation illégale. Quoi donc, le mandat du 1er juin n’était pas fondé en droit ? On avait parlé d’irrégularités ? N’était-ce que cela ? Eh bien ! la prisonnière sera lâchée ! Rien de plus aisé ensuite que de remettre la main sur elle et, cette fois, croyez-le, au moyen d’un pouvoir qui démontrera clair comme le jour, qu’innocente à sa sortie de l’Abbaye, elle était coupable en arrivant rue de la Harpe.

Ce jour-là, Mme Roland fut enfermée à Sainte-Pélagie avec les filles publiques.

Mon courage n’était point au-dessous de la nouvelle disgrâce qu’il venait d’essuyer ; cependant le raffinement de cruauté avec lequel on m’avait donné l’avant-goût de la liberté… pour me retenir plus arbitrairement sous une apparence de légalité, m’enflammait d’indignation.

Mais chez cette créature qui offrait un exemple étonnant d’équilibre organique et de santé morale, les « états violents » ne duraient pas : « J’ai besoin de me posséder, dit-elle, parce que j’ai l’habitude de me régir. »

  1. Charlotte Corday devait aussi être enfermée dans cette cellule quelques jours plus tard.