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L’ENFANT. — LA JEUNE FILLE

— Où irons-nous demain, s’il fait beau ? À Saint-Cloud les eaux doivent jouer. Il y aura du monde.

— Ah ! si vous vouliez, s’écriait la jeune fille, si vous vouliez aller à Meudon, je serais bien plus contente !

Le lendemain matin, dès cinq heures, la famille, en habits légers, se rendait au pont Royal et s’embarquait sur le coche d’eau. Les dames portaient des voiles de gaze. Manon tenait à la main les Odes de Jean-Baptiste Rousseau. À Bellevue, il fallait gravir des sentiers escarpés avant de trouver à se rafraîchir d’une jatte de lait chez quelque aimable villageoise.

Puis c’était la découverte de sites virgiliens et de retraites cachées d’où Manon suivait des yeux la biche qui, d’un pas hésitant, traversait la clairière. Les promeneurs enfin trouvaient à souper chez un bon vieillard auquel Manon, à tout hasard, témoignait sa vénération. Il apportait ses légumes et ses œufs sous un berceau de chèvrefeuille et, pendant que les parents goûtaient sur la fougère un repos bienfaisant, la jeune Manon composait des vers, « enfants irréguliers, mais faciles et parfois heureux, d’une âme pour qui tout était vie, tableau, félicité ».


Elle avait dix-huit ans lorsque, M. et Mme Phlipon n’ayant pas voulu consentir à la faire inoculer, elle tomba malade de la petite vérole dont elle guérit, par chance, sans cicatrices. Demeurée cependant fort languissante, elle fut conduite à la campagne chez sa grand’tante Besnard qui, avec d’autres petites gens, logeait dans le vieux château de Soucy à Fontenay, chez le fermier général Haudry. La belle-mère de celui-ci, Mme Penault, invita chez elle la jeune convalescente. Mme Penault, il semble que Manon prononce ce nom bien roturier avec je ne sais quel accent de revanche qui signifie : « Enfin je suis ici sur mon terrain et mon Phlipon vaut bien son Penault. »

Cependant une mortification sensible l’attendait à Soucy. Priée à souper avec sa mère et sa tante, qu’éprouva-t-elle quand elle vit que c’était à l’office et de la desserte des maîtres ! Bien des amertumes, et même des duretés de la future Mme Roland, levèrent sans doute de la graine semée ce jour-là.

Dans l’hiver qui suivit, Mlle Phlipon, invitée chez la femme