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L’ENFANT. — LA JEUNE FILLE

goûts d’esprit exigeaient. Un médecin, dont l’état du moins lui avait plu, la rebuta, dès qu’elle eut sournoisement remarqué qu’avec sa robe noire et sa perruque « il avait l’air beaucoup plus propre à conjurer la fièvre qu’à la donner ».

Un brave homme de bijoutier crut se rendre agréable en déclarant que, le mérite de la future lui étant bien connu, il saurait se ranger à ses avis et se sentait même déjà disposé à lui permettre de nourrir ses enfants. Il avait touché Mme Phlipon qui disait à sa fille : « Tu le conduirais. » Mais celle-ci se débattait et, ne se sentant pas mieux faite pour la domination que pour l’esclavage, disait-elle, s’étonnait de l’insistance de sa mère.

Vivant toujours près d’elle, elle ne remarquait pas que, depuis quelque temps, la pauvre femme semblait dépérir.

La vérité était qu’une première attaque de paralysie avait été baptisée rhumatisme. Mme Phlipon se sentait perdue et craignait de laisser Manon seule, à vingt ans, avec un père encore jeune, dont l’« inconséquence » lui était trop connue. Depuis quelque temps il désertait souvent le logis morose d’une femme qui souffrait et d’une fille qui s’alarmait.

Une dernière promenade à Meudon parut encore une fois réunir la famille dans de communs sentiments et rendre un peu de vie à la malade.

Mais un jour, Manon, qui était allée avec sa bonne visiter Sainte-Agathe à la Congrégation, se sentit brusquement assaillie d’anxiétés inexplicables et rentra en courant.

Mme Phlipon, frappée d’une nouvelle attaque d’apoplexie, gisait sans paroles dans son fauteuil et mourut en quelques heures. La jeune fille, terrassée par un désespoir effrayant, perdait l’objet qu’elle chérissait entre tous.

Mme Besnard, avec les soins les plus tendres, emmena chez elle la pauvre enfant qui fut pendant quinze jours dans des convulsions dont elle pensa mourir.

— Respectons les décrets du ciel, ma fille, disait Phlipon pour la consoler. Ta mère avait fini son ouvrage qui était ton éducation. Il eût été bien plus fâcheux que ton père fût venu à te manquer car, dès lors, qui eût pourvu à ton avenir ?