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CALISTO, bas à Aricie. Oh ! quelle idée !

ARICIE. Quoi donc ?

CALISTO, de même. Là, dans cette gourde, j’ai justement de l’eau du fleuve Léthé.

ARICIE. Du fleuve d’oubli ?

CALISTO. Qu’il en boive quelques gouttes seulement… et ce qu’il était, ce qu’il pensait… il oubliera tout, même son amour pour Chloé… Laissez-moi faire…

DAPHNIS, qui était remonté avec les autres bacchantes. Non, vous dis-je… non, jamais…

TOUTES. Tu nous résistes ?

CALISTO. De grâce, pas de violence… Daphnis nous repousse… quoi de plus naturel, il n’a jamais assisté à nos jeux, à nos fêtes, à nos bacchanales.

DAPHNIS. Vos bacchanales !

CALISTO. Il n’a jamais goûté l’ambroisie des dieux.

PAN, à part. Que dit-elle ?

CALISTO, lui tendant la gourde. Tiens, Daphnis… bois et tu seras guéri… bois et tu seras heureux !

DAPHNIS. Boire !

PAN, à part. Sans doute quelque breuvage pour l’enivrer… (Se montrant.) Scélérates !

TOUTES, jetant un cri. Oh ! (Elles sortent et entraînent Daphnis).


Scène VIII.

PAN, seul.

Ah ! la surprise, l’émotion, la rage !… (Ramassant la gourde que Daphnis a laissé tomber dans sa fuite.) La voilà, cette liqueur enivrante qui devait porter la flamme dans le cœur de ce berger… je m’empare de cette preuve… elles ne pourront pas nier… (Regardant à la cantonade.) Mais que vois-je ? les voilà qui entraînent Daphnis !… et je reste là, à faire le pied de grue sur mon pied de chèvre… vite ! courons !

CHLOÉ, au dehors. Daphnis ! Daphnis !

PAN. Chloé !… ah ! j’aime mieux cette vengeance-là !


Scène IX.

PAN, CHLOÉ.
Air :

Ah ! que peut-il faire ?
Ô douleur amère !
Je me désespère,
Il est loin de moi.
Quelle est ma souffrance !
Pendant son absence,
Je pleure en silence,
Et ne sais pourquoi.
Vite, vite, vite, reviens vite,
Chloé te désire et t’attend,
Elle t’attend.

N’entends-tu pas sa voix qui t’invite
À venir calmer mon tourment ?
Cruel tourment !
Vite, vite, vite, vite, Daphnis, reviens vite.
Plus d’ennuis,
Plus d’ennuis,
Près de toi, Daphnis.

PAN. Ah ! bravo, bravo !…

CHLOÉ. Ah ! juste ciel ! (Elle veut se cacher.)

PAN. Mais n’aie donc pas peur… c’est moi le dieu Pan que tu invoquais ce matin…

CHLOÉ. Le dieu Pan…

PAN. Je t’écoutais avec un plaisir… tu chantes comme Apollon, le dieu de la médecine et de la musique.

CHLOÉ. Vous trouvez ?

PAN. Je n’aime plutôt pas Jupiter !

CHLOÉ. Je n’ai pourtant guère envie de chanter… Je suis bien triste…

PAN. Oui, je sais… je vous ai entendue ce matin, et je connais le mal qui vous afflige.

CHLOÉ. Vous le connaissez ?…

PAN, lui criant dans l’oreille. C’est l’amour !…

CHLOÉ. L’amour, qu’est-ce que c’est que l’amour ?…

PAN. L’amour, c’est mo… c’est un… c’est une… c’est assez difficile à expliquer… mais quand on a de l’intelligence…

CHLOÉ. Oh ! je crois que j’ai beaucoup d’intelligence…

PAN. D’abord, il faut prendre un amoureux.

CHLOÉ. Un amoureux ?…

PAN. On appelle ainsi celui que le cœur préfère.

CHLOÉ. Ah ! bon ! je prendrai Daphnis pour amoureux.

PAN. Et il ne faut pas se fâcher quand cet amoureux vous serre la main comme ça…

CHLOÉ, lui serrant la main. Et il faut que je serre aussi, moi, dieu Pan ?

PAN. Oui, oui, serre Pan. (À lui-même.) Ah ! j’en fais un fameux de serpent.

CHLOÉ. Oh ! comme je vais serrer la main de Daphnis. (Haut.) Ensuite ?…

PAN. Ensuite, quand on fait l’éloge d’une femme, on dit qu’elle a la taille bien prise… Donc, pour ça, il faut se laisser prendre la taille sans murmurer.

CHLOÉ. Je ne murmure pas… Dire que cette jolie idée-là n’est pas venue à Daphnis !

PAN, à lui-même. Elle est d’une docilité… Une élève qui ira loin !

CHLOÉ. Et c’est tout ?

PAN. Oh ! nous ne faisons que commencer…

CHLOÉ. Je voudrais bien savoir la fin…

PAN. Patience ! Quand la taille est prise, comme la tienne… (À lui-même.) Elle est très-bien prise sa taille… (Haut.) Il arrive quelquefois que l’amoureux prend encore des baisers…