Aller au contenu

Page:Claretie - O. Feuillet, 1883.pdf/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de perse rose, — où ma souffrance me reléguait, j’avais le spectacle de cette fête riante et somptueuse, où tant de beaux esprits épanchaient, pour leur seul plaisir, leurs dons et leurs trésors. J’entendais avec émotion ces voix, aimées du monde entier, retentir familièrement à mon oreille ; je croyais écouter des génies conversant entre eux dans leur région surnaturelle. — Des amphores antiques, pleines de glace, étaient répandues sur le gazon ; de grands vases d’or, aux formes orientales, servaient aux ablutions des convives. Au loin, la belle vallée de la Seine, étendant des clochers de Saint-Denis à l’aqueduc de Louveciennes ses doux horizons, adoucis encore par le soleil couchant, entourait d’un cadre grandiose et charmant cette scène qui me transportait, tantôt dans un coin des toiles de Véronèse, tantôt sous les pampres du Décaméron. Ce fut une heureuse soirée d’extase et de rêve dont je vous remercierai toujours.

Cependant votre fils Alexandre, l’auteur de Diane de Lys, héritier de votre brave cœur comme de tout le reste, s’arrachait de temps à autre à toutes ces magies pour venir s’informer du malade, qui n’était plus qu’un heureux visionnaire. — Merci, Alexandre ; si je n’y vois pas, je me souviens.

Puis cette éblouissante fantasmagorie s’effaça peu à peu dans les ombres élyséennes d’une nuit d’été. Vos convives s’en allèrent, ou s’envolèrent, je ne sais. Vous seul, longtemps encore, au milieu d’un groupe plus intime que vous enchantiez de vos récits, vous ressembliez au conteur arabe prolongeant la veillée de la tribu sous le ciel étoile du désert.

Le lendemain, je partais dans votre plus douce calèche : j’allais rassurer mon père et lui parler de vous. Lui aussi se souvient, n’en doutez pas.

Cette lettre de M. Octave Feuillet a paru dans le Mousquetaire du 21 décembre 1855 et